C'est une grande figure de la musique populaire algérienne qui vient de nous quitter. Le portrait de Boudjemaa El Ankis a toujours pris place dans la galerie des grands artistes algériens. Il aura côtoyé des noms légendaires comme M'rizek, Cheikh Namouss ou Amar Ezzahi. Au terme de sa longue carrière, il était devenu déjà à son tour une icône. Les qualificatifs de « maître », de « Cheikh » ne sont pas usurpés s'agissant d'un des meilleurs représentants du genre chaâbi. Ce n'est pas un hasard si son nom d'artiste fait référence à Hadj M'hamed El Anka . Ce dernier fut son mentor à ses débuts à la fin de la Seconde guerre mondiale avant que sa famille ne quitte la Casbah. Ces dernières années, il n'animait plus de concerts publics ou privés, contrairement aux trente années qui ont suivi l'indépendance. Il était alors familier des scènes du TNA, des tournées artistiques organisées dans différentes villes du pays. Il n'en a pas moins conservé une grande popularité dans les milieux populaires et artistiques. Il lui arrivait de répondre aux sollicitations d'associations et même de partis politiques. Ses fréquentes apparitions à la télévision ont contribué à asseoir la célébrité d'une personnalité jouissant de respect et d'estime. De son vivant, de nombreux hommages lui ont été rendus et un coffret de ses chansons a été mis sur le marché par le ministère de la Culture. Originaire d'Ath Rhouna, un petit village à l'ouest d'Azzefoun où il aimait se ressourcer, Boudjemaa El Ankis a incarné l'artiste ancré dans la tradition religieuse et profane. « Le fils de Mokrane » s'est contenté de quelques chansons en kabyle dont la plus connue reste « Ayakhalaf Naramane » ou « Temziw » écrites par Kamal Hamadi. Il a excellé davantage dans le chant en arabe. Ses qacidate, parfois épiques, vénérant le Prophète (QSSSL) et valorisant les valeurs et les principes prônés par la religion musulmane, continuent de séduire des générations entières. Personne mieux que lui n'a su, usant d'improvisations vocales et instrumentales, traduire les vicissitudes de la vie, son côté clair, mais surtout obscur. Il lègue à la postérité des chansonnettes sur l'amour, à l'image de Oh Yantiya, qui ont fait sa renommée. Elles font revivre une époque d'insouciance et ravivent toujours la nostalgie. El Ankis reste néanmoins plus connu et mieux apprécié pour des poésies chantées sur la vanité de l'éphémère existence humaine. Son répertoire fourmille d'hommages à la majesté divine, de conseils et de rappels comme dans les célébrissimes El Wafat « la mort » où il narre les péripéties de la mort du Prophète Mohamed (QSSSL) et « El Wahdani ». Cette dernière est une émouvante confession d'un homme s'apprêtant à rencontrer son créateur. L'excellence d'El Ankis dans le medh et les chants à forte connotation mystique témoigne de l'ancrage de la tradition du chant dans la société où il a toujours fait bon ménage avec l'expression et la pratique de la religion. Boudjemaa El Ankis, au-delà de la reprise avec talent de poèmes classique du répertoire maghrébin comme « El Kaoui » ou « El Meknassia », s'est révélé aussi novateur après l'indépendance. Il fut le « modernisateur » d'un genre à qui il a donné, sous la houlette de Mahboub Bati, un second souffle. Par des mélodies légères et des paroles loin d'une langue ésotérique comprise par des cercles restreints, il a popularisé le chaâbi. Il fut, à ce titre, une école. De nombreux jeunes chanteurs ont marché sur sa voie. Matoub Lounès a offert une version de sa célèbre « Rah El Ghali Rah ». Ces dernières années, par une présence régulière au festival du chaâbi, l'homme a montré son attachement à cette musique à qui il a dédié toute sa vie. Sa voix et celle d'autres ont traduit la profondeur et la richesse de la culture populaire.