La Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) engagera aujourd'hui la mission la plus délicate de sa création en mai 1975 à Lagos. Trois de ses présidents, le Béninois Yayi Boni, un francophone, le Capverdien Pedro Pires, un lusophone et le Sierra-Léonais Ernest Koroma, un anglophone, se rendront aujourd'hui à Abidjan pour rencontrer Laurent Gbagbo, l'un des deux présidents proclamés de Côte d'Ivoire. Ils tenteront de le convaincre de se retirer pour éviter à son pays de replonger dans la guerre civile ou d'imploser en deux, le Sud et le Nord. Celui qui détient toujours les leviers du pouvoir, cédera-t-il devant l'organisation régionale qui a brandi la menace d'un recours à la force ? Pas sûr. «Nous n'allons pas laisser piétiner notre droit et nos institutions», prévient dans un entretien au quotidien Le Monde publié hier Laurent Gbagbo avant de s'en prendre aux «positions incroyables, inexplicables et injustifiables» de la France et des Etats-Unis qui soutiennent la victoire de son rival Alassane Ouattara. «Ces pays-là poussent à un affrontement interne», dit-il précisant qu'il s'appuie sur les lois et institutions ivoiriennes» à la différence d'Ouattara qui «compte» sur les puissances étrangères qui complotent contre pour être président. Dans un autre entretien au Figaro, Gbagbo dénonce un «complot» franco-américain visant à l'écarter du pouvoir. Les ambassadeurs de France et des Etats-Unis à Abidjan «sont allés chercher Youssouf Bakayoko, le président de la Commission électorale indépendante, pour le conduire à l'hôtel du Golf qui est le quartier général de mon adversaire. Là-bas (...) on apprend qu'il a dit à une télévision que mon adversaire est élu. Pendant ce temps-là, le Conseil constitutionnel travaille et dit que Laurent Gbagbo est élu. C'est tout ça que l'on appelle un complot», explique-t-il. Décodé, Gbagbo ne cédera pas. Du moins dans l'immédiat. Même si l'étau continue de se resserrer autour de lui. Selon toute vraisemblance, le «déclaré» vainqueur par le Conseil constitutionnel «écoutera» le message dont les trois présidents sont porteurs après les avoir informés que «le respect de la Constitution n'est pas négociable». Selon certains observateurs de la scène ivoirienne, Gbagbo qui dit «prendre au sérieux» la menace de la CEDEAO, manœuvrera tant que les sanctions de l'Union européenne, l'isolement financier décidé par les grandes institutions mondiales et les menaces de poursuites devant la Justice internationale n'auraient pas réussi à creuser des fissures dans l'armée qui continue à le soutenir et l'administration qui menace de prendre à partie les millions d'immigrés ouest-africains, notamment les Burkinabés et les Nigérians. Le Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix, une coalition de partis soutenant Ouattara, tente d'étouffer le régime Gbagbo. Après l'appel à la «désobéissance civile» lancé le 21 décembre dernier par Guillaume Soro, le Premier ministre, elle a demandé hier aux Ivoiriens de «cesser les activités» jusqu'au départ du pouvoir de Gbagbo. Comme l'appel du chef des Forces nouvelles, la grève d'hier a été peu suivie. Sauf à Bouaké, le fief de l'ex-rébellion. Les analystes retiennent leur souffle. Ils savent qu'un «niet» de Gbagbo pourrait ouvrir la boite de Pandore de la région dès demain après le meeting prévu par les Jeunes patriotes pour la défense de «la dignité et de la souveraineté» de leur pays.