La sortie de Facebook annonçant l'élargissement de sa recherche à tous les contenus du net n'a pas surpris. En tout cas pas ceux, parmi les observateurs et journalistes spécialisés qui suivent depuis quelque temps la bataille que se livrent les géants de l'internet, poussés par la logique de l'enrichissement des contenus en vue d'amener les utilisateurs à venir plus souvent et à rester plus longtemps sur leurs plateformes. Le tout pour mieux monnayer les espaces publicitaires. La semaine dernière donc, Facebook fait savoir que son moteur de recherche intégré ira chercher du contenu partout sur le web et qu'il raclera un bon lot d'articles d'information pour satisfaire un besoin récurrent chez ses utilisateurs. « Le réseau social a annoncé, jeudi dernier, que son moteur de recherche intégré permettra dorénavant d'explorer l'ensemble des contenus publics partagés par les utilisateurs depuis le lancement du site », rapporte le site du quotidien gratuit français www.20minutes.fr ajoutant que cette extension « qui vise à rendre le géant bleu incontournable pour les recherches sur les sujets d'actualité, provoque aussi quelques inquiétudes sur la vie privée. » Le propos n'est de s'attarder sur les implications des agissements de Facebook sur la vie privée, objet de nombreux écrits et commentaires. Il s'agit plutôt de remettre ce redéploiement dans le cadre d'une stratégie de contenu globale qui anime l'ensemble des opérateurs de l'internet. Les inquiétudes en matière de vie privée sont liées au fait que les contenus qui seraient ainsi charriés par le nouveau moteur de recherche de Facebook pourraient se constituer de fichiers que leurs auteurs n'avaient pas forcément mis là pour être publiés mondialement. Comme l'explique le journaliste de 20minutes.fr, « un certain nombre sont là par accident, parce que l'auteur du message n'avait pas ajusté ses préférences en matière de vie privée pour ne le montrer qu'à ses amis, ou tout simplement que sa perception de ce qui peut être rendu public et de ce qui doit rester privé a évolué au fil des années. » Concrètement, l'utilisateur Facebook qui avait pour habitude d'accéder à travers le moteur de recherche intégré à de l'information produite par ses contacts et liens, pourra maintenant consulter « des résultats parmi l'ensemble des contenus publics de tous les abonnés du réseau », souligne 20minutes.fr qui se fait l'écho de l'explication fournie par Tom Stocky, le vice-président Recherche de l'entreprise, au Wall Street Journal, dans laquelle il rassure qu'une « grande partie des gens qui viennent sur Facebook découvrent ce qui se passe dans le monde à travers leur fil d'actualité. C'est seulement une extension de cela ». Mais pour les observateurs, cette « simple extension » est en fait un coup stratégique destiné à aller chasser sur les terrains de concurrents notamment Twitter et et Google. C'est d'abord une adaptation aux attentes de ses utilisateurs, prospectées par de nombreuses études qui indiqueraient, selon 20minutes.fr qu'ils « avaient soif de trending topics, ces sujets d'actualité brûlante dont tout le monde parle », ajoutant ainsi qu'il s'agit par conséquent d'un « moyen redoutable de s'attaquer à Twitter sur le terrain de l'info en temps réel. » Le coup est également une pierre dans le jardin de Google qui trône toujours en tête de la recherche sur internet avec des chiffres publiés en 2012, selon lesquels, il annonçait traiter 3,3 milliards de requêtes de recherche par jour. Pour 20minutes.fr, « cette nouvelle fonctionnalité permet également à Facebook d'aller chasser sur les terres de Google, dont le nom est devenu indissociable de la recherche sur Internet. L'entreprise de Mark Zuckerberg, qui revendique 1,5 milliard de recherches quotidiennes, propose ainsi un outil qui échappe complètement à son rival. » Dans cette quête au transit et à la fréquentation de leurs plateformes, les géants du net misent beaucoup sur les contenus de presse qui constituent des thèmes de choix de nombreux utilisateurs. Un terrain sur lequel déjà Apple et Facebook rivalisent d'initiatives avec de nombreuses interrogations sur le modèle économique des titres qui acceptent de jouer à cette stratégie. « Les géants Apple et Facebook vont-ils vampiriser la presse en ligne ? », s'interroge le site du quotidien économique français latribune.fr, soulignant : « Apple, avec sa nouvelle application News, et Facebook, avec Instant Article, accélèrent leur offensive sur la presse en ligne en se positionnant comme des intermédiaires incontournables entre les médias et leurs lecteurs. » Cette stratégie présente néanmoins quelques motifs de questionnement au moins pour la presse qui va sur ce terrain. Pour le journaliste de latribune.fr, il est évident qu'en choisissant l'option de se passer « de l'audience liée à la redirection du trafic issu de Facebook et des utilisateurs d'Apple qui n'auront plus besoin d'aller directement sur leurs applications, les médias s'assurent une baisse de leur audience. » La diffusion des articles de presse devrait-elle passer par le même modèle marketing des grandes plateformes de commerce sur internet, à l'image d'Amazon et Cdiscount qui offrent aux utilisateurs plus d'attractivité que les seuls sites des marques. Beaucoup d'observateurs ne sont pas loin de l'idée développée par latribune.fr selon laquelle la stratégie de Facebook et d'Apple n'est ni plus ni moins qu'une tentative de « cannibaliser » les médias. « En annonçant, quasi simultanément, l'arrivée imminente de leurs applications News et Instant Article, Apple et Facebook ambitionnent ni plus ni moins que de court-circuiter les médias », écrit-il, assurant que de toute façon le comportement des usagers devra changer en matière de consommation des contenus de presse. Lors de la présentation de son service News d'offre de contenus de presse, Apple avait promis « d'offrir une sélection personnalisée d'articles de médias partenaires », indique latribune.fr précisant que la firme à la pomme « va héberger directement les articles qu'un algorithme aura sélectionnés en fonction des goûts et des habitudes de lecture de chacun. » En plus de ces deux initiatives emblématiques de sociétés réputées pour leur influence sur internet, beaucoup d‘autres s'y sont mis. « Récemment, tous les géants de la high-tech se sont découvert une passion pour la presse. En janvier dernier, l'appli de messages éphémères Snapchat a lancé Discover, un portail qui permet à 11 médias très populaires, dont CNN, MTV, Cosmopolitan, le National Geographic, People et Vice, de partager des photos, vidéos et articles avec les utilisateurs de l'appli. Même le leader mondial du streaming musical Spotify s'y est mis en s'ouvrant aux vidéos d'actualités », peut-on lire sur le site de latribune.fr qui ajoute à cela « le rachat récent du Washington Post par Amazon, ou celui d'AOL (qui détient notamment les sites Techcrunch et Huffington Post) par le câblo-opérateur Verizon », pour avancer « que les géants du net s'appliquent à créer de véritables écosystèmes autour de leur marque, comme l'a déjà fait Google et, dans une moindre mesure, Apple. » Pour Emmanuel Parody, responsable du Geste, parlant au nom des éditeurs de contenus et de services en ligne, il y a risque en la démarche, comme il l'affirme à latribune.fr : « Les plateformes comme Facebook et Apple se disent ouvertes, mais, en réalité, elles sont en train de se refermer complètement sur leur propre écosystème. A cause du mobile, le nerf de la guerre en termes de revenus publicitaires, les géants du net supportent de moins en moins que leurs utilisateurs sortent de leur plateforme. L'un des moyens pour les retenir le plus longtemps possible est de proposer des contenus de presse, car ils créent de la récurrence. Cela leur permet d'améliorer leur monétisation et de prouver la pérennité de leur modèle économique ». In fine, ce qui est le plus inquiétant dans cette affaire c'est que l'internaute, depuis son téléphone ou un autre terminal pourra consulter les contenus du titre choisi « sans fréquenter le site ou l'application du média en question. » Une situation qui interpelle beaucoup et suscite de nombreuses études et réflexions sur l'impact escompté sur le modèle économique de la presse. L'objectif est clair pour les géants du net qui aspirent ainsi à attirer le maximum d'utilisateurs sur leurs plateformes et à les garder le maximum de temps en leur offrant donc tous les contenus recherchés, dont, une grande partie de l'information de presse. De l'autre côté, le constat est tout autre, comme le souligne latribune.fr, « pour les médias d'abandonner la diffusion exclusive de leurs articles apparaît à double-tranchant », le site développe l'idée selon laquelle l'intégration des médias dans les contenus des plateformes des grands de l'internet leur ouvre des fenêtres de notoriété et de fréquentation et « la perspective de toucher une audience inespérée fait saliver les médias partenaires, à l'image du New York Times, qui participe à la fois à l'initiative de Facebook et à celle d'Apple », fait remarquer le journaliste du site qui rapporte ce constat fait par le patron du New York Times Mark Thompson qui voit que « l'avantage de participer aux plateformes des autres est d'accéder à une distribution potentiellement beaucoup plus vaste en touchant plusieurs millions de consommateurs. C'est une opportunité pour faire connaître notre journalisme à des gens qui ne s'y intéressaient pas ». Parmi les premières questions qui viennent à l'esprit, celle du « partage du gâteau publicitaire » ; il est connu que le modèle économique des géants du net repose fondamentalement sur la monétisation des données personnelles qui constituent leur principal carburant. Mais apparemment, même sur ce créneau, ils comptent faire dans la concession en proposant des variantes d'exploitation aux médias partenaires, comme l'indique latribune.fr : « Facebook et Apple ont également lâché du lest sur les revenus publicitaires. Ainsi, les médias pourront vendre eux-mêmes la publicité présente sur les articles hébergés par News et Instant Article, et garder 100% des revenus. En revanche, s'ils laissent Facebook ou Apple gérer l'intendance, ils n'en récupéreront « que" » 70%. Le « sacrifice » n'en est pas vraiment un pour Facebook et Apple, qui profiteront de toute façon de l'augmentation du temps passé par les utilisateurs sur leur plateforme pour vendre plus cher leurs espaces publicitaires. » Cependant, et même si sur le plan économique, les données semblent gérables pour les deux parties, il est d'autres conséquences que les médias devraient regarder de près. Parmi les plus importants points d'alerte, relève latribune.fr, le risque « de rompre le contact direct avec le lectorat, notamment jeune et connecté, c'est-à-dire l'avenir. » Avec ce que cela comporte comme conséquence qui pourrait conduire « à changer le mode de consommation de l'information à leurs dépens, valider un système dans lequel les géants du web seraient les premiers fournisseurs de l'information sans en être les producteurs », ajoute ce site qui n'omet pas une dernière conséquence et non des moindres, celle de liberté éditoriale des médias que beaucoup voient menacée, et que latrinue.fr illustre par ce questionnement : « Pour convaincre les médias de leur laisser diffuser leurs articles à leur place, Facebook et Apple promettent qu'ils n'interféreront pas dans l'éditorial. Mais Facebook a déjà démontré sa sensibilité envers les images montrant de la nudité ou de la violence. Exit, donc, les articles sur les Femen ou sur la guerre en Syrie ? »