On a de la peine à croire que la ville d'El Kala constitue une simple escale pour les nombreux touristes algériens qui se rendent en Tunisie. C'est donc là que se situe le paradoxe, le grand malentendu, sommes-nous tentés d'écrire. Que manque-t-il à cette magnifique localité pour que la foule de transitaires daigne jeter l'ancre et passer leurs vacances ici dans ce site enchanteur ? C'est ce qui manque au tourisme national confiné à des chiffres, au nombre de lits et aux hôtels haut de gamme, alors que sa relance dépend de plusieurs facteurs. C'est un lieu commun que d'affirmer que le tourisme est surtout une affaire de culture. Or de l'avis même des responsables du secteur, nous manquons cruellement de culture touristique. Sans doute, avons-nous été bercés par l'illusion que le pétrole durerait de telle façon à ce que l'on puisse se passer d'autres ressources... Voilà pourquoi El Kala, village de villégiature par excellence, sert de passage aux touristes nationaux qui se rendent en Tunisie. Parce que malgré les panoramas fantastiques, les plages immenses, les paysages magnifiques dont des forêts denses et une zone humide classée patrimoine mondial, El Kala n'attire tout au plus que les familles habituées à passer leurs vacances en recourant essentiellement à la location chez l'habitant. Parce que c'est une destination des familles qui y trouvent calme et sérénité. Que ce soit la journée quand il faut se rendre à la plage ou le soir quand l'avenue qui longe le port s'anime avec la promenade et les incessants va-et-vient jusque tard dans la nuit. C'est vrai que les infrastructures d'accueil font défaut et hormis quelques hôtels — dont le célèbre El Mordjane récemment rénové — aux capacités limitées, c'est la disette question hébergement. Alors la formule chez l'habitant bat son plein et quoi qu'on dise, la destination El Kala draine quand même du monde ne serait-ce que pour la journée mais mérite d'être réellement développée. Parce qu'elle possède des sites inégalables. « Durant la haute saison, des plages comme La Messida, Cap Rosa ou la vieille Calle sont bondées et elles sont assez spacieuses pour accueillir la grande foule. Mais il faut payer les bandes de jeunes qui se sont approprié les parkings. Les commodités elles-mêmes sont inexistantes et quelques gargotes à l'hygiène douteuse font office de restaurants », nous dit ce vieux pêcheur rencontré au port en train de taquiner le mulet. Ici, le couscous au mérou est le plat de l'invité. Nous déambulons dans les rues de la ville en ce novembre qui refuse de pleuvoir au grand dam des agriculteurs et au plaisir innocent des écoliers qui essaiment dans un festival de couleurs bleue et rose. Nous sommes à quelques jets de la frontière tunisienne et des usages ont réussi à passer sans passeport. Dans le langage ordinaire des habitants, on retrouve des locutions tunisiennes et, nous dit-on, il y a des expressions algériennes utilisées du côté tunisien. Pour la gastronomie aussi, il y a beaucoup de similitudes et on ne sait pas si la fameuse Mloukhia au veau est algérienne ou tunisienne. En cherchant bien dans les archives, on trouverait des réfugiés tunisiens qui ont fini par adopter une identité typiquement algérienne et en définitive, la frontière ici n'est qu'un tracé géographique gardé où il faut montrer son passeport pour circuler. Le reste passe ailleurs et ici le trafic a fini par devenir une seconde nature notamment depuis le fameux « printemps arabe » qui a précipité le voisin dans les événements qu'on sait. Alors le carburant, le cheptel et aussi le corail font l'objet de sordides et frauduleuses transactions. Abderrahmane tient une gargote sur le port et sert d'excellentes sardines fortement épicées. Il nous dit que des fortunes se sont édifiées grâce au trafic et ce ne sont pas les signes extérieurs de richesse qui manquent chez ces ex-pauvres qui roulent en 4X4 et habitent de luxueuses villas à Annaba. Abderrahmane a bien essayé de mouiller dans le trafic de carburant mais, pris la main dans le sac, il a fait de la prison et a juré depuis de gagner honnêtement sa croûte. Il nous invite à un barbecue sur la plage et devant un coucher de soleil droit sorti d'une carte postale, il s'affaire à griller le rouget de roche et les crevettes qui grésillent sur le feu à s'en lécher les babines. La nuit tombe sur ce havre de paix et au loin seules scintillent quelques lumières de chalutiers qui s'en vont défier la mer. Le climat est au beau fixe et la pêche sera bonne. Demain, à l'aube, des mandataires d'Annaba viendront acheter le poisson au prix fort pour le fournir aux hôtels et aux restaurants. Et les pêcheurs iront dormir en attendant la nuit tandis que les essaims d'écoliers envahiront la ville. Une autre journée commence.