Dans un climat de tensions confessionnelles exacerbées et minées par la bataille de leadership opposant les deux puissances régionales, l'onde de choc a provoqué l'approfondissement de la fracture dans le monde musulman désormais rangé en blocs antagoniques. Le Koweït, le Bahreïn, les Emirats arabes unis et le Soudan ont, dans la foulée de la rupture des relations diplomatiques entre l'Iran et l'Arabie saoudite, rompu ou réduit à leur plus simple expression leurs relations avec l'Iran, minimisant la portée du soutien des alliés saoudiens. Pris dans le tourbillon des rivalités jamais tues, le Moyen-Orient est au bord de l'implosion. Deux mosquées sunnites ont été visées à Hilla (centre de l'Irak) par des attentats à la bombe. A Téhéran, environ 3.000 personnes ont manifesté lundi dernier. Au Liban, au Bahreïn, au Pakistan et au Cachemire indien, le mouvement de protestation chiite a été déclenché dès l'annonce de l'exécution des 47 condamnés dont le dignitaire chiite Al-Nimr. Si toutefois le scénario du pire, pouvant conduire à une confrontation armée, est écarté par tous les spécialistes, l'état comateux, voire déliquescent du monde musulman désuni, ne laisse pas indifférent. A juste titre, l'Algérie, qui redoute le développement en « crise ouverte » des tensions entre le royaume saoudien et la République islamique, appelle à la retenue pour éviter « une détérioration accrue de la situation qui aurait des conséquences dommageables graves au double plan bilatéral et régional, dans un contexte géopolitique et sécuritaire particulièrement sensible ». Dans un communiqué publié, lundi dernier, le ministère des Affaires étrangères a rappelé le devoir de responsabilité en leur qualité de membres de l'Organisation de la coopération islamique, l'exigence de respect des principes régissant les relations entre les Etats et la nécessite de contenir la crise par le dialogue. C'est en définitive, à la demande de l'Arabie saoudite que la Ligue arabe, prompte à intervenir dans les crises inscrites dans l'agenda du « printemps arabe », se réunira dimanche prochain pour tenter d'examiner l'évolution de la situation. Dans le monde, l'escalade est appréhendée par la Russie « prête à servir d'intermédiaire », au regard de ses bonnes relations avec les deux protagonistes, et les Etats-Unis appelant les deux parties à prendre « toutes les mesures » pour baisser les tensions. Au Conseil de sécurité, les 15 ont adopté à l'unanimité une déclaration qui, sans faire mention de l'exécution du dignitaire chiite, condamné « fermement » les attaques contre les missions diplomatiques saoudiennes à Téhéran et Machhad et demandé à Téhéran « de protéger les installations diplomatiques et consulaires et leur personnel » et de « respecter pleinement ses obligations internationales ». Le message semble avoir été bien compris par Téhéran qui a exprimé à l'ONU ses « regrets » et promis de « prendre les mesures nécessaires pour que de tels incidents ne se reproduisent pas ». Fondamentalement, tous les regards se tournent vers la Syrie et le Yémen en victimes collatérales de la crise irano-saoudienne. Toutes les assurances ont été données par l'ambassadeur saoudien à l'ONU, Abdallah Al-Mouallem, affirmant, d'une part, que la rupture des relations diplomatiques n'affectera nullement « les efforts de paix en Syrie et au Yémen ». Riyad a confirmé sa présence aux prochains pourparlers de paix en Syrie prévus en principe à partir du 25 janvier à Genève sous l'égide de l'ONU et souhaité que les pourparlers yéménites du 14 janvier « soient productifs ». Le chassé-croisé a commencé. Si l'émissaire de l'ONU pour le Yémen, Ismaïl Ould Cheïkh Ahmed, est attendu demain en Arabie saoudite, le médiateur de l'ONU en Syrie, Staffan de Mistura, est en route pour Riyad, avant de se rendre à Téhéran, pour « évaluer l'impact de la crise bilatérale sur le processus de règlement du conflit syrien ». Le monde est au chevet du Moyen-Orient des divisions marginales.