C'est un saint, qui était de la descendance du Prophète (QSSSL), qui a donné son nom à la ville. Bel-Abbès s'était établi au Maghreb pour semer la parole d'Allah et s'était alors établi dans cette verte contrée qui fut convoitée depuis la nuit des temps. Région à vocation agricole par excellence, elle contient les terres berbères du Tessala, que les Romains appelaient Astasilis et qu'ils durent céder à contrecœur, compte tenu de leur incroyable fertilité. D'ailleurs, ces vertes prairies seront âprement disputées au cours des siècles qui verront alors se succéder tous les conquérants. A regarder cette verdure faite de vallons, de plaines et de collines, de forêts et de rivières, on comprend dès lors pourquoi les Berbères, les Romains, les Almoravides, les Espagnols, les Français se sont livré des guerres sans merci pour garder la région. C'est, nous disent les historiens, vers 1780, que décédera Sidi Bel-Abbès El Bouzidi, le saint patron de la ville et c'est sans doute pour cela que le centre de colonisation portera le nom de Sidi Bel-Abbès. Alors se fera l'installation de nombreux colons qui accapareront, avec la bénédiction de l'armée française, ces terres si riches. Se formera alors une main-d'œuvre qui deviendra la population de Sidi Bel-Abbès. En provenance des environs de l'Oranie, de Tlemcen, de Nedroma, et même du Maroc, ces nouveaux venus vont cohabiter en toute quiétude. Quand l'armée coloniale décidera de déclarer la guerre à Mascara, bastion de l'Emir Abdelkader, elle utilisera le plateau de Sidi Bel-Abbès comme lieu de surveillance du déplacement des autochtones vers Tlemcen et Oran. Peu à peu, le poste de surveillance deviendra un campement provisoire puis un poste permanent avant de devenir une importante garnison de la Légion étrangère. A l'instar de toutes les contrées et villes de ce pays, Sidi Bel-Abbès a payé un lourd tribut au colonialisme... En cette journée radieuse de mars, la ville ressemble à une photo et les palmiers du long boulevard bercent leurs feuilles en guise de bienvenue. Des vestiges de richesse sont encore visibles car la cité fut prospère du temps lointain du plein-emploi avec son industrie électronique, mécanique et son agriculture. Khaled, journaliste radio depuis belle lurette, nous attend avec son éternelle cigarette. Il jure qu'il n'avale pas la fumée mais à le voir siroter son café, le doute s'installe. Les terrasses des cafés sont accueillantes et les serveurs avenants. De plus, le soleil de mars s'entête à taper sur la tête et c'est comme une douce léthargie qui s'installe. C'est donc à presque à contrecœur que nous nous levons. Khaled nous a invités à manger la meilleure paella du monde dans un restau qui ne paye pas de mine mais propret et convivial. On apprend que le mot paella est d'origine arabe et ce plat aurait été composé des restes de crustacés et d'un repas de la veille. Depuis, il fait fureur dans tous les restaurants cotés du littoral national. Effectivement, le plat généreusement servi avec moules et crevettes, est un véritable délice. L'envie de piquer une petite sieste nous prend car on a forcé sur la fourchette. Mais cette ville regorge de beaux sites et de panoramas et le temps nous est compté. En sortant, nous passons près de la municipalité, une superbe bâtisse toute de pierre et de toit d'ardoise. Le kiosque à musique trône au milieu de la grande place et nous le dévisageons longtemps comme si par magie on allait y voir s'animer des musiciens en queue de pie, taquiner des stradivarius et des contrebasses. Par la voix de son mythique groupe Raïna Raï, la ville revendique la paternité de « l'art et le raï qui sont sortis de Bel-Abbès ». A ce sujet, Sidi Bel-Abbès possède une magnifique école des Beaux-Arts ainsi que de nombreux édifices d'époque qui ont gardé leur cachet parce que bien entretenus. Peut-être exagère-t-on quand on affirme que cette ville est celle qui a un rayonnement culturel « supérieur » à celui des autres cités. Ce serait faire outrage, n'est-ce pas, à Constantine, Tlemcen, Alger, Oran... et même Zeribet El Oued dans la wilaya de Biskra. Mais il faut reconnaître que Sidi Bel-Abbès possède un air d'érudite de par les nombreux saints qui la gardent et aussi de par les activités culturelles qui lui ont donné un cachet particulier. L'immense Kateb Yacine a dirigé le théâtre de la ville et laissé un riche héritage... Il fait déjà nuit et la ville s'illumine de mille feux. Sur le trottoir, une poubelle éventrée est convoitée par un chat famélique. On dirait le gat de Slim...