Ait Wadhou paraît un village kabyle hors du temps. Même l'unique pont qui le relie au reste du monde date de l'époque coloniale. Il est à la fois semblable et différent de ceux que décrit Mouloud Feraoun, dont l'auteur reprend les codes d'une écriture simple et accessible. Pour lutter contre la misère, ses jeunes ne se drapent pas d'une dignité discrète. Les enfants pataugent dans les décharges en quête de trophées dérisoires. Nulle trace de ces mutations qui ont métamorphosé le mode de vie villageois et les femmes sont en arrière-plan. Beaucoup de lecteurs estimeraient, non sans quelques raisons, que se situant au début des années 2000, le récit prend beaucoup de libertés avec la vraisemblance. Le choix des dates paraît également incongru. Le livre débute à la veille du 1er-Novembre 2002 et la scène finale se déroule en 2012. Cela semble contredire le déroulement accéléré des événements relatés. Les personnages sortis tout droit d'une pièce de Beckett se réfugient dans la consommation d'alcool et de drogues. Ils pensent ainsi oublier le désespoir et les horizons bouchés. Par la parodie ou la dérision, ils clament leurs colères devant leurs rêves piétinés. Ils sont trois, l'étudiant Zar le berger Zof et un artiste, le bien-nommé Ahwawi, à faire un pied de nez à la bienséance hypocrite. Leurs rencontres sont d'abord celles de jeunes rêvant de changer les choses. Le premier voit son projet de produire de l'électricité à base de panneaux solaires buter contre le mur de la bureaucratie. Le dernier se voit refuser l'agrément d'une association culturelle. Un malheur n'arrivant jamais seul, Ait Wadhou subit une attaque terroriste. Une maison où sont donnés des cours pour les jeunes est brûlée et Ahwawi, grugé par l'Onda, échappe de peu à un assassinat. Une raison suffisante pour vouloir sauver sa peau. L'intrigue coule ensuite d'elle-même. L'artiste et l'étudiant essayeront à tout prix de quitter le pays qualifié d'Absurdistan . Mal-vie de 9,8° sur l'échelle de Richter Le livre* est une sorte d'hymne à la Harga, un thème traité par de nombreux auteurs. L'un des romans de Boualem Sansal porte même le titre de « Harraga ». N'ayant pu obtenir un visa, les deux compères vont embarquer illégalement dans un Zodiac laissant derrière eux le berger attaché à la terre, au pays. Le roman en filigrane s'interroge sur la liberté, la notion volatile du patriotisme et l'identité. L'embarcation qui fonce vers l'Italie emporte aussi une jeune femme, un professeur, un jeune islamiste et un handicapé. Chacun a ses raisons de vouloir quitter le pays. L'odyssée prend fin avec une violente intervention des gardes-côtes. Ahwawi se retrouve devant le juge et son ami perd la vie. « Le mercure du dégoût a atteint son paroxysme. 95° à l'ombre. Notre mal-vivre affiche 9,8° sur l'échelle de Richter » (P 98). Le roman de l'auteur né en 1978 dans la région de Boumahni (Tizi Ouzou) établi au Canada où le livre est paru en 2012 est celui d'une jeunesse qui rame. Elle pense que son salut et la délivrance sont seulement dans l'exil. L'Europe est un espace idéalisé, une rive qu'il faut atteindre à tout prix pour échapper à l'inexorable dépérissement. Hormis quelques descriptions champêtres et celle du caporal, le passeur qui organise les départs, beaucoup de passages sont plus des affirmations politiques que des suggestions artistiques. Le passeur se révèle un magistrat dont la duplicité témoigne de la décrépitude morale et politique. Dans la scène finale, il sera étranglé par Ahwawi qui meurt abattu dans le palais de justice. L'auteur étouffe parfois ses personnages en mettant en avant ses certitudes et analyses politiques. Le livre pâtit surtout de cette proximité avec le réel qui en fait souvent un manifeste politique qu'une œuvre littéraire. *Allah au pays des enfants perdus Editions Frantz-Fanon, 157 pages, 550 DA