Dans le vieux continent en rupture de ban avec ses valeurs humanitaires longtemps proclamées, la crise des migrants a révélé la nature égocentrique d'une Europe, au mieux, indifférente au drame des victimes des guerres néocoloniales et, au pire, le leurre démocratique du « printemps européen » porteur d'une solidarité jamais vécue à l'endroit des réfugiés. Par-delà la main tendue de l'Allemagne et de la Suède, rapidement retirée sous la pression du camp de la répression. L'Europe se bunkérise et sort l'artillerie pour partir à l'assaut des migrants, contenus aux frontières gréco-turques et chassés à coup de bombes lacrymogènes à la frontière gréco-macédonienne. Des affrontements ont éclaté, dimanche dernier, après la tentative infructueuse de plusieurs centaines de migrants de forcer la frontière fermée de la Macédoine et leur refus de leur transfert des centres d'accueil improvisés grecs d'Idomeni aux conditions de vie inhumaines. Près de 300 migrants avaient dû recevoir des soins après la charge brutale des policiers macédoniens usant de gaz lacrymogènes et des balles en caoutchouc, selon des ONG et le gouvernement grec dénonçant le recours à l'« usage excessif et asymétrique de la violence » créant « une situation très difficile en territoire grec ». Selon le ministère grec des Affaires étrangères, « deux sévères démarches de protestation » ont été entreprises « auprès des autorités macédoniennes ». Le gouvernement a également entamé « des actions auprès des pays européens ayant envoyé des observateurs policiers côté macédonien », dont la Slovénie et la Hongrie, a indiqué le porte-parole du service de coordination de la crise migratoire, Giorgos Kyritsis. La riposte musclée de la Macédoine, qui a accusé la police grecque de passivité, traduit les divisions accrues. « Pendant les incidents, la police grecque n'a pas essayé d'intervenir et de mettre un terme aux incidents », a affirmé dans un communiqué le ministère macédonien de l'Intérieur. Le malaise s'installe. Athènes, contrainte de « doubler la présence policière sur place », tente de contenir le flux massif des migrants, encouragés par les rumeurs de réouverture de la frontière à l'origine de la montée de la tension. Face à la fermeture définitive de la route des Balkans, aucune alternative n'est possible pour les 11.000 migrants d'Idomeni et en Pirée en dehors des centres d'accueil en Grèce. Ils font partie du contingent des 46.000 personnes arrivées de Turquie, avant la conclusion de l'accord avec l'Union européenne (UE) du 20 mars qui prévoit le retour à Ankara de près de 7.000 personnes retenues sur leur île d'arrivée (Lesbos, Chios, Kos, Leros, Samos généralement) dans le cas d'un rejet par Athènes des demandes d'asile. Le deal euro-turc porte sur l'accueil d'un Syrien réfugié en Turquie en territoire européen pour chaque Syrien renvoyé en Turquie depuis la Grèce. Lors d'une visite à Istanbul, une délégation des ministres des Affaires étrangères de six pays membres de l'UE a fait valoir un droit de regard sur une application stricte de l'accord sur le retour des migrants. Que fera la Turquie ? A l'épreuve des premières arrivées (326 depuis une semaine), le mécanisme se met progressivement en place pour assurer le retour au centre de Gazantiep (27.000 places), près de la frontière avec la Syrie, à Manisa, près d'Izmir et au sud prêt à accueillir entre 32.000 et 40.000 places vacantes. Serait-ce suffisant pour faire face aux 2,7 millions de déplacés syriens présents sur les côtes grecques ? Hier à Sanliurfa, une ville proche de la frontière syrienne qui accueille de nombreux réfugiés, le Premier ministre turc, Ahmet Davutoglu, a convoqué son gouvernement pour évaluer le rôle majeur de son pays dans la gestion du drame des migrants.