Dans cet entretien, Mahmoud Boudarène, psychiatre et docteur en sciences biomédicales, explique que la violence a gagné la société et que le passage à l'acte agressif a augmenté de façon exponentielle. Pour lui, l'Etat doit nécessairement aller au-devant du problème pour le scruter avec plus d'attention afin de mieux le comprendre. Comment expliquer la hausse du nombre d'homicides volontaires ces derniers mois ? Je ne sais pas s'il y a vraiment une progression manifeste, comme vous semblez le croire, des homicides volontaires. S'il ne faut pas occulter, ou même seulement minimiser le phénomène, il ne pas faire dans l'alarmisme en se laissant tromper par une surmédiatisation due notamment à une plus grande couverture médiatique du territoire national et donc d'une plus grande circulation de l'information. Est-ce que la société algérienne, par son fonctionnement et/ou ses dysfonctionnements, sécrète aujourd'hui plus de meurtriers, plus d'homicides ? Si cela est le cas, pourquoi ? Voilà des questions qui méritent d'être posées. Il est vrai que la violence s'est emparée de la société et que le passage à l'acte agressif a augmenté de façon exponentielle, en tout cas au regard de ce qui est rapporté par les services de sécurité. Une violence ordinaire, chacun a pu en faire le constat, qui constitue présentement la voie préférée pour résoudre les conflits entre individus. Des comportements qui interpellent la société dans ses fondements et ses lois, dans son organisation et ses mécanismes régulateurs. Le crime existe dans toutes les sociétés. Dans tous les cas de figure, il (le crime) est le résultat de l'effondrement des interdits fondamentaux qui fondent le consensus social, lequel consensus garantit la paix, au moins parce qu'il évacue l'agressivité des interactions entre les personnes et qu'il constitue un rempart à la violence. Si le crime dans la société s'est réellement accru, cela devrait en effet préoccuper. L'inquiétude doit gagner le corps social mais cela doit interpeller en premier lieu les pouvoirs publics. Une « mise en demeure » de l'Etat qui doit nécessairement aller au-devant du problème pour le scruter avec plus d'attention afin de mieux le comprendre. Mieux en cerner les causes permet d'y apporter les solutions les plus appropriées, la solution préventive, qui doit éliminer les facteurs qui font le lit du passage à l'acte, devant être, bien entendu, privilégiée face à la réponse répressive.
L'Algérien est-il violent de nature ? Indéniablement, la société algérienne est nerveuse et irritable. Je pense que je peux formuler les choses comme cela. Les Algériens ont très facile le passage à l'acte violent, mais il est une erreur de penser que c'est là une spécificité algérienne, un atavisme propre à notre société. L'Algérien n'est pas de naissance ou génétiquement plus agressif, plus violent ou encore plus dangereux, comme il est dit ici et là. Les circonstances, la vie qu'il mène, l'ont conduit à le devenir. En réalité, plusieurs facteurs s'additionnent et potentialisent leurs effets pour faire de la société algérienne une marmite en ébullition. L'histoire tourmentée de notre pays et la violence qui a prévalu durant ces vingt dernières années est à prendre en compte, pour bien comprendre le pourquoi de l'émergence et de la banalisation de la violence dans notre pays. La violence qui a gagné la société algérienne n'est pas une fatalité comme elle n'est d'ailleurs pas un épiphénomène. Les passage à l'acte extrême qui témoigne de la banalisation de la violence mais qui souligne aussi l'intolérable indignité dans laquelle les Algériens sont immergés. Si la violence sociale constitue, à n'en pas douter, le terrain dans lequel le passage à l'acte agressif ordinaire prend racine et ensuite grandit, l'homicide trouve ses motivations profondes ou ses explications ailleurs. Ce crime est un passage à l'acte particulier qui inscrit son objet dans une démarche où la finalité constitue le point central. Que les motivations soient d'ordre psychologique ou simplement criminel.
La majorité des meurtres sont commis à l'arme blanche et les auteurs ne sont pas des repris de justice. Quelle est votre analyse ? Faut-il voir dans l'usage de ce type d'armes une quelconque signification ? Je ne crois pas. Les meurtres sont commis à l'arme blanche parce que c'est l'arme disponible et aisément accessible. Acheter un couteau est chose facile, tous les magasins en disposent. Cela n'est pas onéreux et ne nécessite aucune autorisation de port d'arme. De plus, c'est un outil qui peut être trouvé dans n'importe quel domicile, parfois dans celui même de la victime. Une arme qui est facile à transporter et à dissimuler. Faut-il souligner que des personnes circulent avec ce genre d'armes en leur possession. Il est évident que je ne fais pas allusion ici au sujet qui transporte une arme blanche et qui va à la rencontre de sa victime potentielle pour lui asséner volontairement des coups mortels. C'est pourquoi ces sujets qui commettent ce genre de crimes, inattendus en quelque sorte, ne sont pas forcément des repris de justice, des récidivistes ou encore des truands connus pour être déjà passés à l'acte agressif. Mais comme il est d'usage de le dire, il faut un début à tout. Une délinquance inaugurale.