Le cœur d'Alger, la vieille ville, résiste, tant bien que mal, aux méfaits du temps. On aura beau dire des bâtisses qui tombent en ruine ou des déchets qui jonchent les ruelles, La Casbah reste fidèle à elle-même et se bat, contre vents et marées, pour préserver son âme. De Bab Jdid à la rue de Chartres, en passant par Soustara ou en empruntant la très commerciale ruelle menant vers Djamaâ Lihoud, l'ambiance de La Casbah reste la même, inchangée depuis des lustres, et ses habitants s'accrochent à leurs traditions, advienne que pourra. A l'entrée de Djamaâ Lihoud, un groupe de jeunes assis, discutent autour du premier café de la soirée. Ils sont interpellés par un passant : « Alors, vous allez passer votre soirée ici, sur ces escaliers ? » La réponse fuse instantanément, avec humour : « Si notre qaâda ne te plaît pas, tu n'as qu'à aller flâner à la rue Larbi Ben M'hidi. » Par petits groupes, profitant de la brise marine, les habitants de La Casbah prennent possession des ruelles dans un rituel réglé comme une horloge : chacun connaît son coin, chacun rejoint son groupe. Les cafés sont bondés, de même que les « mahchachate » ouvertes pour la circonstance. De loin, on sent la fleur d'oranger et la menthe qui accompagnent le thé et, de loin, l'envie de goûter aux gâteaux traditionnels vous prend et vous fait voyager à travers le temps et l'histoire de la vieille cité. Le camion de Netcom a du mal à se frayer un chemin dans ces dédalles jonchées de détritus, surtout près du marché de Djamaâ Lihoud. Des montagnes d'ordures laissées par les commerçants qui enlaidissent l'endroit et envahissent tous les espaces, y compris devant la mosquée où les fidèles sont occupés avec les tarawih. Derrière le camion, les automobilistes s'impatientent. Certains tentent même de revenir en marche-arrière, une manœuvre pas aussi simple dans pareil endroit. Mais c'est toujours comme ça ici, lorsque le camion de Netcom passe. Les soirées ramadhanesques se passent tranquillement, loin du stress des grands boulevards et des klaxons de voitures. Ici, c'est « hna fi hna » (entre nous), les heures passent doucement autour de parties de dominos ou de discussions sur le bon vieux temps, le tout dans le respect total de l'autre : aucune élévation de la voix ni excès de langage. Chacun tient son coin et essaye de passer du bon temps en bonne compagnie. Plus loin, en dépassant le mausolée de Sidi Abderrahmane et juste en entamant la descente de la rampe Louni Arezki (ex-Rampe Valley), c'est le quartier du chanteur adulé Amar Ezzahi. Juste devant les escaliers qui mènent vers le lycée Emir Abdelkader, une terrasse de café attire un grand monde, surtout des personnes âgées, adossées au jardin Marengo qui profitent de la brise d'air qui balaye le coin. Le temps coule doucement ici avec des évocations du bon vieux temps, mais surtout des retrouvailles des anciens du quartier qui ne ratent aucune occasion pour venir passer leurs soirées dans le berceau de leur enfance et revoir leurs amis. Alors que les bruits du brouillant Bab El Oued parviennent jusqu'aux ruelles de La Casbah, en ces moments de forte affluence des familles pour les achats des vêtements de l'Aïd, les habitants de la vieille cité restent impassibles et préfèrent poursuivre leurs calmes soirées en toute intimité.