A première vue, le récit a tout l'air d'un polar, genre très prisé par le lectorat et un certain nombre d'auteurs, Yasmina Khadra en tête. Le décor est très vite planté. Un crime, une sorte de flic et une enquête. Le triptyque habituel du roman noir, annonciateur d'une histoire qui se jouera, de bout en bout, sur une multitude d'intrigues et de personnages. Et puis, on se surprend dans une fiction, un tant soit peu classique qui, certes, ne surgit qu'aux yeux de quelques initiés. C'est peut-être là la marque de fabrique de ce jeune auteur, qui met savamment la forme au service du fond. « Le Mythe de l'homme fort », paru aux éditions libanaises Dhifaf et maghrébines Al Ikhtilaf, convoque à la fois l'histoire, la culture, l'ethnologie, l'orientalisme, l'émigration clandestine... pour en faire un récit obsédé par la question identitaire. L'histoire se déroule dans trois grandes villes, l'une belge, Charleroi, fief de la communauté maghrébine, Constantine et Annaba. Un jeune Algérien, Salim Zahri, clandestin de son état, est tué dans la métropole wallonne par des malfaiteurs d'origine turque. Le crime fait écho, notamment en France, où ce genre d'événements est monnaie courante. Un homme — le personnage principal du roman — prend l'affaire en main, mais à titre personnel. Il fait aussitôt connaissance avec un ressortissant marocain, Adnane Abdelaoui, et s'engage dans une longue et lointaine pérégrination pour lever le voile sur l'histoire du « harraga » fraîchement débarqué en Europe au terme d'une meurtrière traversée clandestine, via la Méditerranée. Un détective pas comme les autres Poussé par une curiosité bien étrange, celui-ci se rend dans la ville de Constantine en pensant y retrouver ses traces. L'occasion sera belle pour l'auteur qui se fend d'une description minutieuse de la ville des Rochers (ses ponts suspendus, son architecture arabo-mauresque, ottomane, française, ses us et coutumes, ses cafés...). L'affaire s'avère peu concluante pour ce détective pas comme les autres qui, de guerre lasse, et suite à quelques informations « salutaires » glanées auprès de certaines connaissances constantinoises, bifurque sur l'antique Bône, où il parvient à dissiper le mystère entourant la vie du malheureux. « Le récit s'arc-boute autour d'un certain nombre d'éléments comme la relation Orient-Occident, dans l'esprit et de l'enquêteur et dans son acolyte marocain, dont les dialogues témoignent des divergences de visions et des clichés que chacun nourrit par rapport à l'autre », confie le romancier. « L'histoire porte une dimension ethnique et identitaire en premier lieu, pour les Algériens, otages, regrette-t-il, de nombreuses idées reçues ». « L'identité en Algérie demeure un sujet problématique, victime, à ce jour, d'exacerbations ethniques et culturelles », estime-t-il. Son œuvre, dit-il, « n'a pas pour but seulement de donner du plaisir aux lecteurs, mais surtout de les « pousser à méditer cette crise multidimensionnelle ». Roman surprenant, cossu et hautement esthétique, il met en valeur ce nouveau venu au monde des belles lettres. S'il n'en est qu'à sa seconde tentative littéraire, Boumediène Bouzid est bien connu sur la scène éditoriale du pays et arabe. Chercheur universitaire, versé dans les sciences de gestion, il est aussi auteur d'une riche bibliographie spécialisée et de nombreux ouvrages traitant notamment du « printemps arabe ». L'écrivain sera présent au 21e Salon international du livre d'Alger.