«Si Ryad venait à être déstabilisée par ses chiites, Téhéran pourrait plus aisément avancer ses pions à Bagdad». La dynastie sunnite des Al-Khalifa panique. Vingt-quatre heures après avoir appelé le « bouclier de la péninsule », une sorte d'Otan des pays du Golfe, à sa rescousse, dont la simple présence a provoqué une crise diplomatique avec l'Iran, le Roi Hamad Ben Issa Al-Khalifa décrète l'état d'urgence. « En raison des circonstances que traverse Bahreïn (...) le roi Hamad Ben Issa Al-Khalifa proclamé l'état d'urgence pour une période de trois mois », indique un communiqué officiel, précisant que le Roi a chargé le commandant des forces armées de rétablir l'ordre en faisant appel à l'armée, aux forces de police, aux unités de la Garde nationale et à « toute autre force si cela s'avère nécessaire ». Malgré cet état d'urgence et ces renforts policiers, les manifestants majoritairement chiites (70% de la population du pays), qui menacent depuis le 17 février la sécurité du pays, ne décolèrent pas. Les manifestants, qui exigent la démission du gouvernement, l'élection d'un Parlement avec de pleins pouvoirs, la fin des discriminations dont sont victimes les chiites, notamment, l'interdiction de s'engager dans l'armée nationale, les plus radicaux veulent même le départ des Al-Khalifa, se sont rassemblés hier devant l'ambassade saoudienne à Manama pour crier « Bahreïn libre » et « Troupes du Bouclier de la péninsule dehors ». Sur le plan diplomatique, les choses se corsent avec l'Iran. Manama a rappelé son ambassadeur à Téhéran pour « consultation ». La raison ? Les Iraniens, qui ont convoqué l'ambassadeur saoudien, l'ambassadeur suisse (représentant les intérêts américains en Iran) et le chargé d'affaires bahreïni, ont qualifié d'« inacceptable » le déploiement du « bouclier de la péninsule » qui « rendra la situation plus compliquée et plus difficile » à résoudre. « Ingérence flagrante dans ses affaires intérieures », s'est écrié le Roi du Bahreïn. Les Européens et les Américains, qui réalisent que le Bahreïn est en passe de devenir, après le Yémen, le théâtre des rivalités entre l'Iran et l'Arabie Saoudite, sont dans l'embarras, car si Ryad venait à être déstabilisée par ses chiites, Téhéran pourrait plus aisément avancer ses pions à Bagdad. D'où leur appel aux troupes du Golfe déployées à Manama à respecter les « libertés fondamentales » des manifestants et à faire preuve de retenue et aux souverains du Golfe à entamer des sérieuses réformes s'ils ne veulent pas leur fin et un changement de l'équilibre des puissances dans la région.