C'est toute la littérature algérienne qui sort grandie de la seconde session du Grand Prix Assia-Djebar fêtée, en grande pompe, mercredi soir, au Centre internationale des conférences Abdellatif-Rahal, à Alger. Il a fallu une année pour le comité de jury, présidé par l'académicienne Nadjet Khadda, pour trancher sur les noms des trois lauréats. A savoir le brillant et prolifique, Samir Kacimi, la jeune Lynda Koudache et enfin un « pas très vieux » de la vieille, Djamel Mati. Le choix, comme l'a fortement souligné l'universitaire, n'a pas été évident devant la profusion des œuvres soumises, 76 au total (34 en arabe, 32 en français et 10 en tamazight). Mais aussi par rapport à la haute qualité de nombreux textes. « Une percée de talents qui pousse à l'optimisme quant à l'avenir de la littérature algérienne », note-t-elle, non sans vanter la multiplication des prix qui animent aujourd'hui la scène littéraire. Samir Kacimi, l'iconoclaste Même ses contempteurs lui reconnaissent le statut d'écrivain hors pair. Ses romans - au nombre de six- se vendent comme des petits pains. C'est un fait : Samir Kacimi a acquis une place de premier ordre et s'impose, depuis quelques années, comme l'un des porte-parole de la nouvelle vague d'écrivains d'expression arabe. En livrant sa dernière fiction, « Kitab al-Macha » (Enag) le romancier de 44 ans a tapé très fort, et misé autant très fort sur sa destinée. La haute qualité, mais aussi la particularité esthétique de ses écrits ont joué en sa faveur lors du choix final. Sans surprise, l'auteur de « Halabil » se voit attribuer le Grand Prix Assia-Djebar pour le roman 2016, d'une valeur financière de 1.000.000 DA. Il ne cache pas sa joie. « Je suis très honoré par ce prix qui porte le nom d'un pilier de la littérature algérienne », dit-il. Du grand prix, il dira tout le bien. « Les prix de cette envergure et cette organisation parfaite, sans parler de la qualité du jury donnent de la hauteur à la littérature algérienne et notamment arabe », s'est-il félicité. « Kitab al-Macha » est la suite de son autre gros récit « Halabil » (prix du meilleur roman arabe en 2010). Comme à chaque fois, Kacimi prend des sentiers nouveaux et sinueux pour écrire. Il n'hésite pas à aller au charbon, en interpellant des domaines pas faciles à négocier, philosophie, culture, religion, histoire... « J'ai essayé d'imaginer une autre religion qui porte le nom d' El Ouafidia. L'idée soutenue à travers ce roman est de dire que la quête de l'idéal appelle l'homme a, d'abord, reconnaître ses limites et ses défauts », résume-t-il. Il fait part à ce propos de l'impact de la philosophie sur les nouveaux romans arabes, et même en Occident. En France notamment où 30% des nouvelles fictions touchent à cette science. Djamel Mati, la force tranquille Absent de la cérémonie du sacre, Djamel Mati a laissé à son éditeur (Chihab) la prestigieuse levée du trophée. Mais son ombre a largement dominé l'évènement, tant son dernier roman « Yoko et les gens » (Barzakh) a marqué le paysage littéraire. Saluée par les critiques et la presse, la fiction, écrite avec une narration particulière, et une langue élégante, Mati « expose un regard inédit sur la harga, en préférant la relation du drame vécu par ceux qui ont perdu un être cher en mer à l'approche frontale du phénomène ». On aurait sûrement voir l'heureux élu battre l'estrade et savourer à ses côtés cette belle consécration. Lynda Koudache, premier éclat Pour la surprise du chef, c'en est vraiment une. Talentueuse, la jeune romancière kabyle a ravi à son tour la grande mise, marquant ainsi une fulgurante percée de la littérature amazigh dans le champ littéraire. Avec ce second roman, « Tamacahut Taneggarut », Lynda Koudache raconte l'histoire d'une femme rurale qui choisit la voie du savoir pour se libérer et s'affirmer. Je suis très ravie de ce prix qui porte le nom de ma romancière préférée. Littérature en tamazight, je reste optimiste, nous avons de belles plumes », soutient l'auteure. Trois auteurs, trois succès et un triomphe pour la littérature algérienne qui grâce à ce prestigieux prix célèbre l'une des plus grandes écrivaines non pas seulement en Algérie, mais dans le monde, Assia Djebar.