La rencontre autour du thème «Production romanesque et critique littéraire» s'est vue décalée en remplacement de celle programmée par les responsables du Sila dont le sujet devait être «Parcours et écrits». Afin d'expliquer le retard des différents intervenants ainsi que le retard pris sur l'heure de la conférence et surtout «amadouer» le léger agacement de certaines personnes de l'assistance, Ameziane Ferhani, journaliste, modérateur de la rencontre a eu, égal à lui-même, une phrase non dépourvue d'humour pour expliquer ce contretemps : «Mon père m'a toujours dit de ne pas rapporter, et bien je vais le faire aujourd'hui. Le rendez-vous pris avec le journaliste français Edwy Plenel n'a pu avoir lieu, pour cet après-midi, …». La suite vous l'aurez compris : nous «cafardons» à notre tour. Quoi qu'il en soit et malgré le cafouillage, nous l'aurons suivie cette rencontre sur la critique littéraire. Ils étaient quatre intervenants, tous résidant sous d‘autres cieux depuis plusieurs années, invités, pour la circonstance, pour proposer leurs réflexions respectives sur la critique littéraire. L'ABSENCE D'ESPACE LITTERAIRE Le premier à adhérer fut Benamar Mediène, professeur de littérature et écrivain. Celui-ci a développé sa vision en s'interrogeant sur la présence d'un milieu littéraire en Algérie, voire de l'existence de salons littéraires où l'on peut affûter les idées au cours d'un «multidialogue» et développer une évaluation et une appréciation de la littérature. S'appuyant sur le vide du multidialogue littéraire, l'universitaire, dans la lancée de ses idées, fera valoir que : «Ce qui manque en Algérie, c'est cette curiosité intellectuelle grâce à laquelle se construit l'édifice de la pensée». (A qui incomberait la faute de ce vide ?). Benamar Mediène aura cette explication en considérant que l'intérêt intellectuel du jeune étudiant et de l'apprenant doit être incité par «l'école, le lycée et l'université». Il apparaît nécessaire selon l'université que l'institution qu'est l'école algérienne dès les premières années d'éveiller l'enfant scolarisé à la littérature. Et par là doit développer en lui le goût de lire et le goût de la culture littéraire. Prenant à son tour la parole, Mohamed Kacimi, poète et romancier a mis l'accent sur l'état des lieux de l'édition …en France. Après un aperçu sur la réalité éditoriale de ce pays, le conférencier donnera une esquisse sur la chaîne du livre s'accomplissant en premier lieu auprès de l'éditeur. Mohamed Kacimi relevant la situation précaire de ceux qui ont l'écriture chevillée au corps aura ces mots : «L'éditeur prend un risque en publiant un manuscrit ». Le cheminement de la vie d'un ouvrage s'accomplira ensuite entre l'auteur et la commercialisation de ce produit par le diffuseur et le libraire. Nous aurons droit à quelques explications sur la vie des auteurs « français » qui ont pour passion, l'écriture et qui sont dans l'obligation d'avoir une deuxième activité professionnelle pour vivre. (Une pratique qui n'est pas étrangère à l'écrivain en Algérie, soit dit en passant). Mohamed Kacimi relèvera également d'autres problèmes inhérents à l'édition française et à la politique éditoriale. Après un tour d'horizon sur les problèmes actuels, il conclura en substance : « … le métier d'écrivain ne nourrit pas forcément son homme Par ailleurs, pour vivre totalement de sa plume, un auteur à plein temps gagne en France 100 à 200 Euros par mois comme un bon ouvrier algérien… » LA CRITIQUE, UN EXERCICE SOLITAIRE Arezki Metref, d'emblée, lance la couleur en déclarant rester en Algérie et débattre de la critique dans notre pays. Pour sa part, il relèvera la dimension de l'exercice de la critique en le taxant «de solitaire». C'est à dire qu'avant d'écrire la critique, la personne chargée d'apporter un compte rendu rigoureux sur un livre doit s'isoler afin de pénétrer le texte et proposer «un état des lieux» de l'ouvrage le plus objectif… Metref qualifiera également la critique littéraire comme étant une pratique «aléatoire» du fait qu'elle soit liée à l'avis d'une seule personne, donc incertaine et éventuelle. Le chroniqueur du «Soir d'Algérie» rappellera un fait marquant des critiques des nationalistes algériens en 1952, vis-à-vis de l'écrivain Mouloud Mammeri lors de la parution du roman «la colline oubliée». Pour son regard réaliste et «critique» envers la société kabyle, l'homme de lettres recevra de violentes remarques de la part de personnalités du mouvement nationaliste de l'époque, a rappelé Arezki Metref, mettant en exergue le jugement «aléatoire» porté sur une œuvre. Yahya Belaskri a levé un bout un voile sur les fameux réseaux et « blogs » (toujours en France) qui décident de l'octroi d'un prix littéraire à travers une critique venant d'illustres journalistes ou tout simplement en signalant une œuvre sur la toile. Ces faiseurs de « prix » pour nombre d'entre eux, déterminent du destin d'un livre sans qu'ils ne l'aient jamais lus ! On apprend comment s'articule «la bourse du livre » via un réseau influent… ». Comme quoi la duperie littéraire est significative de l'autre côté de la Méditerranée et à l'auteur de confier à l'assistance avec humour, comment l'on a glissé son nom sur un réseau Internet dans une liste comprenant d'autres auteurs français .Un bel atout lui ayant valu le prix Ouest-France. Enfin Ameziane Ferhani prendra le relais sur les diverses voies attenantes au livre en Algérie. On n'est pas étonné lorsqu'il signale : «Il existe 600 librairies à travers le territoire national une centaine d'entre elles sont de vraies librairies.» Le nombre est en deçà et les professionnels de la commercialisation du livre sont une denrée rare. Pour palier la chose, selon l'information du modérateur de la rencontre : «300 bibliothèques publiques» vont être concrétisées «Un projet ambitieux et l'espoir pour que demain un réseau de lecture publique prenne corps à travers le territoire national». DE L'UNIVERSITE AU JOURNALISME Concernant la critique, thème central de la rencontre, Ameziane Ferhani parlera de deux types de critiques : «La critique universitaire et la critique journalistique». S'agissant de la première, il signalera que «La critique littéraire universitaire est très peu accessible en Algérie…» Il ajoutera tout de même qu'elle connaît une évolution. Rappelant «les années de plomb» selon ses termes, il fera cette remarque à propos du quotidien El Moudjahid qui avait «Un supplément culturel de très haut niveau». Bien entendu, cet ancien journaliste de «A.A» (Algérie Actualités) et «Parcours Maghrébins» n'oubliera pas de parler de l'hebdomadaire «Algérie Actualités », lequel profitait alors de la plume d'un grand nombre de journalistes culturels, celle entre autres de Tahar Djaout. L'impératif pour Ameziane Ferhani est que le journaliste, critique littéraire, se voit octroyer un emploi du temps spécifique à sa spécialité au sein de l'organe employeur et «à plein temps». L' appel lancé aux patrons de presse, portera-t-il ses fruits ?