Nicole Dreyfus a été l'avocate des militants du FLN, notamment de Baya Hocine et Djoher Akrour, membres de l'ALN (Armée de libération nationale), qui avaient toutes deux seize ans en 1957. Dans cet entretien téléphonique qu'elle a bien voulu nous accorder, elle revient sur son engagement politique face à la justice coloniale et évoque ceux et celles qu'elle a défendus. A 84 ans, elle déroule le film des événements qui remontent à 1956. Elle raconte avec détails les circonstances et les raisons de son combat face aux magistrats des tribunaux militaires installés par la France coloniale pour juger ceux et celles qui ont choisi le combat de la liberté et de l'indépendance de l'Algérie. Vous êtes connue pour votre engagement politique face à la justice coloniale. Peut-on savoir quand et comment vous avez commencé à défendre les militants du FLN ? Je me souviens de mon premier voyage en Algérie, c'était au mois de février 1956. J'effectuais en moyenne trois voyages par an. C'était en pleine guerre d'Algérie. Nous étions un groupe d'avocats prêts à défendre toutes les affaires qui se présentaient. Il faut dire qu'il y avait un pont aérien, où un collectif d'avocats de diverses tendances était engagé dans la défense des prisonniers algériens. On arrivait à Alger. Sitôt on prenait connaissance des dossiers. Cela se passait dans des conditions très difficiles, car il fallait plaider devant le tribunal militaire spécial. C'est ainsi qu'on plaidait durant toute la durée de notre séjour. Mais pour vous dire combien de fois j'ai plaidé, je ne saurai vous le dire. Je n'ai pas tenu un agenda spécial. Je sais seulement que j'ai eu à défendre beaucoup d'affaires. Vous avez eu à des défendre des femmes, quels souvenirs gardez-vous d'elles ? J'ai, en effet, défendu un grand nombre de femmes. En tant que femme, j'avais conscience que certaines préféraient être défendues par une femme. Parmi elles, Les plus notables sont Baya Hocine et Djoher Akrour. Elles ont été poursuivies pour participation à l'affaire du stade. L'affaire du stade concernait deux attentats qui avaient eu lieu simultanément au stade d'Alger et au stade d'El Biar pendant que le jeu se déroulait. C'était l'époque où le FLN estimait que le recours aux bombes était de nature à avancer les choses. J'étais alors à Alger et j'ai pris en charge le dossier. Le procès s'est déroulé en deux phases. Les garçons ont comparu devant le tribunal militaire. Les filles, quant à elles, ont été présentées devant la cour d'assise des mineurs, car elles n'avaient pas encore 16 ans. Je me souviens très bien, elles ont été condamnées à mort la veille de Noël. Fort heureusement, la condamnation a été cassée et l'affaire est revenue, quelques mois plus tard, devant la cour d'assise d'Oran. La cour était composée d'un magistrat professionnel et les membres du jury étaient issus du premier collège, c'est-à-dire des représentants des colons. Et du deuxième collège, en l'occurrence des représentants des Algériens. Les accusées étaient en fait devant un seul juge. Car, on savait déjà que le vote des représentants des colons allait pencher pour la peine capitale. Les représentants des Algériens voteraient contre la peine de mort. Par conséquent, il restait la président de la cour. Et à Oran, on a échappé à la condamnation à mort. Elles ont été condamnées aux travaux forcés à perpétuité. En clair, on savait à ce moment-là que, dès l'indépendance de l'Algérie acquise, elles seraient rendues à la vie civile. C'est ce qui s'est passé. Baya, malgré son âge, était quelqu'un qui avait à l'époque une personnalité assez forte… Est-ce que vous avez gardé le contact avec elle après l'indépendance de l'Algérie ? Je suis retournée en Algérie après la guerre, Baya était mariée et avait des enfants. Et puis en 2000, je devais me rendre à Alger pour participer à un colloque. Dans l'avion, j'ai vu la photo de Baya Hocine sur le journal El Moudjahid. J'étais très contente en me disant que j'allais la revoir. Mais hélas c'était une image nécrologique. Pour revenir aux procès des militants du FLN, c'était plus des parodies de justice … Les juges ont condamné à mort des mineurs. L'ensemble des affaires étaient présentées devant le tribunal militaire. Le magistrat civil était intégré dans l'armée avec le grade de colonel. Il y avait des militaires qui faisaient la guerre dans les djebels et les autres dans les tribunaux. Et comment était perçu votre combat en France ? Le combat n'était pas perçu de la même manière au début et à la fin. La guerre a duré des années. L'opinion publique commençait à la fin par manifester une hostilité vis-à-vis de la guerre d'Algérie. Des voix s'élevaient contre la torture et des comités ont vu le jour pour s'insurger et dénoncer cette pratique. L'ouvrage d'Henri Alleg «La Question» traduit en 17 langues a grandement participé dans l'information de l'opinion publique. En parlant de torture, est-ce que Baya Hocine et Djoher Akrour ont été torturées ? Non. D'ailleurs, c'est l'une des rares affaires où les détenues n'ont pas été torturées. Baya et Djoher n'ont pas été torturées parce que les garçons qui faisaient partie de cette équipe ont été identifiés grâce à une marque de teinturier qui figurait dans l'une des vestes où était entreposée l'une des bombes. Elles ont été certainement passées à tabac, mais pas plus, parce que l'évidence était là. On n'avait pas besoin de leur extorquer des aveux. On n'avait pas besoin de torturer ces deux jeunes filles, contrairement à ce qui s'est passé dans de très nombreux autres cas, y compris avec des femmes. J'ai défendu des dizaines d'autres personnes dont la plus grande partie a été soumise à la torture, notamment la torture par l'électricité, qui avait un très gros avantage, c'est qu'elle ne laissait pratiquement pas de traces… Défendre ceux que l'on qualifiait de «terroristes» n'était sûrement pas chose aisée. Dans les juridictions, la foule criait souvent à mort. Pour les prévenus ou les avocats ? Non. C'était plus pour les avocats. Je me souviens, je suis allée voir Coly pour présenter la requête de grâce, il avait dit non. Et si c'était à refaire ? Il y a un poème d'Aragon qui dit «et si c'était à refaire, je referai ce chemin».