Photo : Makine F. Jusqu' à la fin des années 80, les tirages de la presse francophone dans notre pays étaient de loin supérieurs à ceux des titres en langue arabe. El Chaab, Ennasr et El Djoumhouria réunis ne pouvaient alors rivaliser avec El Moudjahid ou Horizons qui dépassaient les 300 000 exemplaires. Algérie Actualité et Révolution africaine notamment étaient des titres de haute facture qui se distinguaient par une qualité des articles à mille lieues de ce qui s'écrit de nos jours. La quantité chasse t-elle fatalement la qualité ? Comme à l'université ou le niveau connait aussi une baisse inquiétante, la presse révèle le recul patent des publications en français. Les meilleures plumes éparpillées dans diverses rédactions ne sont plus des hirondelles qui annoncent le printemps. Serait ce des cygnes qui lanceraient d'ultimes chants? La situation en arabe n'est pas également reluisante de l'avis même du secrétaire d'Etat à la communication, arabisant distingué. Le lectorat au moins n'est pas vieillissant. Mieux, il s'élargit au fil des années. Autres temps, autres mœurs. Nul besoin d'un sondage. Il suffit de voir et d'observer dans les lieux publics. Echourouk, El khabar sont plus visibles que Liberté ou le Soir. Avec presque le même contenu et la même société éditrice, le tirage du buteur atteint à peine le tiers de celui d'El haddaf .Le dernier venu des quotidiens arabophones Ennahar en l'occurrence dépasse déjà en tirage les journaux de langue française crédités d'une certaine audience. Il faut y voir en premier lieu l'effet de la scolarisation massive en langue arabe qui a relégué celle de Voltaire au rang de langue secondaire. Dans beaucoup de régions, son enseignement est même inexistant ou aléatoire. Dans maintes localités du pays profond, elle est superbement ignorée. Un jeune qui a atteint le niveau de terminale nous avouait récemment dans la ville d'Ain Kercha aux confins des Aurès qu'il ne connaissait que les noms de quelques quotidiens, n'ayant les capacités de ne lire aucun d'entre eux. Des ingénieurs ou des médecins qui naguère avaient un intérêt pour la littérature peinent désormais à déchiffrer des textes. Quel journal peut encore publier des textes de fiction de jeunes adolescents comme il était encore de tradition il y a une trentaine d'années ? C'est à vingt ans qu'un Bourboune débattait avec Lacheraf ou Bachir Hadj Ali, que Djaout publiait ses premières nouvelles. Cette tendance lourde en œuvre dans le système éducatif, vivier naturel de lecteurs préfigure-t-elle l'extinction progressive des journaux francophones qui longtemps tenaient le haut du pavé ? Cesseront-ils d'exister faute de lecteurs? Difficile de répondre d'une manière abrupte à une telle interrogation. Le facteur langue n'est pas le seul attrait et pour une génération qui est plus bilingue que monolingue le contenu est aussi déterminant. Certes, il existe de plus en plus de titres en langue arabe qui véhiculent des valeurs de progrès et d'ouverture. Pour autant,le risque est de voir cette presse se réduire aux gros tirages. Une simple presse à scandale et celle de caniveau qui tournerait le dos à la qualité et à la crédibilité voire à la moralité ? C'est aujourd'hui à la fois la force et la faiblesse des journaux de langue arabe les plus en vogue. Certes, il n'y a pas meilleur moyen pour vendre plus. C'est aussi le plus court chemin pour s'aliéner les élites qui structurent le pouvoir et la société. A court terme, il sera difficile vu la proximité de l'Europe, la densité des échanges humains et économiques de parier sur la mort des journaux francophones. L'élite économique, littéraire ou technique produit mieux et plus qu'en arabe. Le français a encore un ancrage historique qui ne peut souffrir la comparaison avec les cas égyptien ou marocain. On constate même que les écrivains de langue arabe, pour des raisons qui n'ont rien à voir avec la langue cherchent à produire en français. Même le système de formation ménage une place de plus en plus importante au français. Le rétrécissement de l'usage et de la pratique de cette langue, de moins en moins maîtrisée affaiblira certes de plus en plus la presse francophone. Court-elle le risque de devenir de plus en plus celle d'une minorité ? Boudée et peu attractive elle risque alors de ne plus avoir les moyens de se reproduire.