Résumé de la 2e partie n La bouteille poursuit sa narration au canari... La bouteille tomba sans se casser au milieu d'une épaisse touffe de joncs sur le bord d'un petit étang : elle eut le temps de réfléchir à l'ingratitude du monde. «Moi, je leur ai donné de l'excellent vin, se disait-elle, et en retour ils m'ont rempli d'eau bourbeuse.» Elle ne voyait plus la joyeuse société. Mais elle les entendit chanter encore et se réjouir pendant bien des heures. Quand ils furent partis, survinrent deux petits paysans ; en furetant dans les joncs, ils aperçurent la bouteille et l'emportèrent chez eux. Ils avaient vu la veille leur frère aîné, un matelot, qui devait s'embarquer le lendemain pour un long voyage, et qui était venu dire adieu à sa famille. La mère était justement occupée à faire pour lui un paquet où elle fourrait tout ce qu'elle pensait pouvoir lui être utile pendant la traversée ; le père devait le porter le soir en ville. Une fiole contenant de l'eau-de-vie épurée était déjà enveloppée, lorsque les garçons rentrèrent avec la belle grande bouteille qu'ils avaient trouvée. La mère retira la fiole et mit en place la bouteille qu'elle remplit de sa bonne eau-de-vie. — Comme cela, il en aura plus, dit-elle ; c'est assez d'une bouteille pour ne pas avoir une seule fois mal à l'estomac pendant tout le voyage. Voilà donc la bouteille relancée en plein dans le tourbillon du monde. Le matelot, Pierre Jensen, la reçut avec plaisir et l'emporta à bord de son bâtiment, le même justement que commandait le jeune capitaine dont on vient de parler. Elle n'avait pas trop déchu ; car le breuvage qu'elle contenait paraissait aux matelots aussi exquis qu'aurait pu l'être pour eux le vin qui s'y trouvait auparavant. «Voilà la meilleure des pharmacies !» disaient-ils, chaque fois que Pierre Jensen la tirait pour en verser une goutte aux camarades qui avaient mal à l'estomac. Aussi longtemps qu'elle renferma une goutte de la précieuse liqueur, on la tint en grand honneur ; mais un jour elle se trouva vide, absolument vide. On la fourra dans un coin où elle resta sans que personne prît garde à elle. Voilà qu'un jour se lève une tempête ; d'énormes et lourdes vagues soulèvent le bâtiment avec violence. Le grand mât se brise, une voie d'eau se déclare ; les pompes restent impuissantes. Il faisait nuit noire. Le navire sombra. Mais au dernier moment le jeune capitaine écrivit à la lueur des éclairs sur un bout de papier : «Au nom du Christ ! Nous périssons.» Il ajouta le nom du navire, le sien, celui de sa fiancée. Puis il glissa le papier dans la première bouteille vide venue, la reboucha ferme, et la lança au milieu des flots en fureur. Elle qui lui avait naguère versé la joie et le bonheur, elle contenait maintenant cet affreux message de mort. Le navire et tout son équipage disparurent ; la bouteille rebondissait de vague en vague, légère et alerte comme il convient à une messagère qui porte un dernier billet doux. Dans ces pérégrinations elle eut le bonheur de n'être ni poussée contre des rochers ni avalée par un requin.(à suivre...)