"Karkabou" Dans l?Algérois on l?appelait «Baba Salem». Mais à Biskra, comme au Sud et dans tout l?Est algérien, il était désigné sous le vocable évocateur de Boussaâdia. En ces temps où la télévision n?avait pas encore fait intrusion dans les foyers, les gouals, les montreurs de serpents, les magiciens et les medahine savaient égayer la vie des petits comme des grands. Ils mettaient une note de joie, de mystère et de poésie dans le dureté des jours, qui n?étaient pourtant, ni tristes, ni monotones. En ces temps bénis, dans la vieille ville de Biskra, au sein des ocres et des verts des palmeraies, l?amuseur public, le plus aimé par les petits, était boussaâdia. Son arrivée mettait le quartier en fête et les foyers en effervescence. Les cris de joie des enfants, «cascadaient» de terrasses en cours intérieures et la foule des «ouled» convergeait vers l?endroit d?où venaient les airs joyeux de la chakoua (cornemuse) et de la ghaïta (sorte de hautbois). Les claquements endiablés des karkabous, habilement manipulés par un accompagnateur de Boussaâdia, mettaient celui-ci en transe. Dans sa folle sarabande, ses haillons multicolores tournoyaient, tout comme les peaux de lapin et les fourrures de chacal ou de renard qui pendaient à sa ceinture de laine bariolée. Des grelots tintaient à ses poignets et à ses chevilles. Sur sa tête, un couvre-chef hallucinant fait de choses mystérieuses et étincelantes. Pour les petits, boussaâdia était l?ambassadeur de la joie, le complice joyeux. Pour les plus grands, il était celui qui exorcisait le malheur et chassait les mauvais génies. Une résurgence du sorcier d?un autre âge, venu du fin fond de l?Afrique noire avec ses frères d?infortune ramenés en esclavage. Les femmes rivalisaient de générosité à son égard et lui, allant d?une maison à une autre, semait la baraka. Il repartait, accompagné jusqu?aux limites d?un autre quartier, par tous les «ouled» en liesse. Il était chargé de semoule, de fermés, de kedid et de rouina. Les femmes l?ont gavé de r?fiss et de ghreif, ces crêpes généreuses imbibées de beurre fondu et saupoudrées de sucre candi. Où est-il parti, cet ami de l?enfance perdue ?