Scène n La générale de ‘Les filles de Lear', une pièce écrite et mise en scène par Sid Ahmed Kara, a été donnée, hier, au Théâtre national. Cette pièce – une production du théâtre national – est inspirée du ‘Roi Lear' du dramaturge William Shakespeare. Sid Ahmed Kara a imaginé, à partir du premier texte – celui de Shakespeare – une trame mettant en scène le roi Lear et ses trois filles (Goneril, Régane et Cordélia) ainsi que deux autres protagonistes, le bouffon du roi et le machiavélique Edmond. Dans cette pièce interprétée en arabe littéraire, le roi Lear apparaît comme vieillissant et sénile mais entêté, sûr de ses propos, de sa conduite et de ses décisions. Dans son arrogance royale, il bannit et déshérite Cordélia, la plus jeune de ses trois filles, seulement parce qu'elle se refusait de lui mentir, en lui disant qu'elle l'aime certes, mais pas autant ou de la même manière que son bien-aimé. Les deux autres, perfides et usant de mensonges, gagnent l'estime de leur père. Elles lui témoignent, sur fond de tromperie et d'hypocrisie, des sentiments faux et un respect fourbe et calculé, juste pour hériter de sa fortune et de ses biens. Quant à Edmond, il s'allie avec Goneril et Régane pour réaliser ses ambitions. Il les séduit toutes les deux et parvient à les monter l'une contre l'autre. Quant au fou du roi, prenant conscience de la tartuferie de l'une comme de l'autre, de la ruse et de la conspiration d'Edmond, il essaie, mais de façon tacite, de pousser le roi à discerner le vrai visage de ses filles, Goneril et Régane. Mais ce dernier obstiné refuse d'entendre raison et de faire preuve de sagesse, jusqu'au jour où la vérité lui éclate au visage. Et c'est à ce moment-là qu'il prend conscience de son erreur et son énormité, mais il est trop tard. Ainsi, la pièce, une tragédie, marquée, çà et là, et d'un bout à l'autre, de moments forts et poignants, se construit autour d'intrigues et de complots. L'histoire, à forte charge émotionnelle, semble, soutenue et cohérente. Le jeu apparaît équilibré et régulier. Il est dynamique et convaincant. C'est une performance scénique palpable tant la gestuelle est vivante et captivante et l'interprétation profonde et suggestive. Le jeu est appuyé par l'effet sonore, auquel s'ajoute la lumière qui, subtilement et judicieusement imaginée, confère à la pièce toute sa dramaturgie et, en conséquence, sa portée tragique. Le chant, aussi, accentue l'aspect dramatique de l'histoire et intensifie de son volume. Chant, musique et lumière décrivent avec autant d'émotion que de réalisme l'atmosphère grave et sombre et parfois lourde de la pièce. L'on est aussitôt transporté dans un univers prenant, fait d'inquiétude et de désolation. La scène, à elle seule, personnifie toute la tragédie qui est humaine – et de tout temps. Car c'est l'homme qui est raconté dans sa nature. Le jeu est rendu aussi vivant grâce à des figures chorégraphiques : à des moments du jeu, les comédiens se livrent à une expression corporelle. Cela donne à la spatialité plus de teneur et d'entrain. Il y a également la scénographie : aux allures contemporaines, donc aux tournures abstraites (le décor est sobre, seulement trois estrades métalliques occupent la scène, ainsi qu'une toile en arrière-fond et sur laquelle sont projetées des figures, comme s'il s'agissait de sculptures transcendantes), elle accorde à l'espace scénique plus d'attention et d'intérêt. Celui-ci revêt par conséquence une esthétique. La théâtralité de la pièce se construit sur une poétique.