S'attaquer à un classique du théâtre demande, certes, beaucoup de courage, mais aussi beaucoup de maîtrise. Adapter Shakespeare est un risque non contrôlé. Le Roi Lear est une des pièces les plus célèbres et les plus populaires du dramaturge anglais William Shakespeare. Elle traite de l'homme. Elle propose une réflexion sur l'être humain, sa folie et ses obsessions. Toutefois, adapter un classique shakespearien est un risque non contrôlé. L'adaptation du chef-d'œuvre le Roi Lear , par Sid-Ahmed Kara, ne remplit pas sa fonction. Devenue Banat Lear (les filles de Lear), la pièce, d'une heure dix minutes, n'a pas de propos évident, ce dernier étant dilué. Banat Lear est entamée par la fameuse scène du roi Lear qui demande à ses trois filles (Goneril, Régane et Cordélia) de lui dire leur amour pour lui. Celle qui sera la plus éloquente et la plus convaincante aura la plus grande partie de sa fortune. Goneril et Régane réussissent avec brio ce test qui n'en est pas un, car Lear est très sérieux, mais Cordélia échoue, car elle estime qu'elle ne peut quantifier ou exprimer cet amour, tout en affirmant que son cœur sera partagé en deux, une fois qu'elle sera mariée. Elle aimera son mari aussi fort qu'elle aime son père, et ce serait un mensonge d'assurer le contraire. Fou de rage et de colère, Lear déshérite Cordélia et la chasse de chez lui. Ironie du sort, Cordélia s'est montrée sincère et ceci lui a causé préjudice. Ce qui est encore plus drôle et pathétique à la fois est que Lear, malgré sa puissance et sa force, n'a pas un très grand sens du discernement. La nature humaine est quand même très étonnante de ce point de vue-là. Dans la version originale, le comte Kent, un fidèle du roi, chassé par Lear après avoir pris la défense de Cordélia, revient déguisé et prend l'identité de Caïus, et Cordélia épouse le roi de France. Dans Banat Lear, Cordélia revient vers son père déguisée en Caïus et l'accompagne dans son périple. Le fou du roi, qui demeure le seul fidèle ami de Lear, est de la partie également. Après avoir été chassé de sa maison par sa fille aînée, Goneril, Lear va chez sa deuxième fille, Régane, qui lui réserve le même sort. Elle le chasse sans vergogne. Abandonné par les siens, par la chair de sa chair, Lear pleure son malheur et bannit ses deux filles, tout en regrettant l'amour sincère de son troisième enfant, Cordélia. De leur côté, Goneril et Régane complotent pour se débarrasser de leurs époux, parce que tombées toutes deux dans les griffes d'Edmond, fils illégitime de Gloucester. Mais les deux filles indignes de Lear connaîtront un sort funeste. Ce qui est encore plus triste est que même Cordélia connaîtra un triste sort, puisqu'elle périt dans d'atroces souffrances. L'adaptation de Sid-Ahmed Kara est très noire, empreinte de pessimisme et d'une certaine inquiétude. Un tableau noir, un constat alarmiste et une réalité amère, sont les grandes idées qui se dégagent de cette adaptation. Souhaitant mettre en relief les filles de Lear, tout en gommant la deuxième intrigue qui se greffe à la trame principale dans l'œuvre originale, l'auteur n'a pas réussi à faire oublier la grandeur et la profondeur du personnage de Lear, qui a été sans conteste le héros déchu et abandonné de cette nouvelle vision du drame shakespearien. La scénographie – pour une fois ! — a été au service du metteur en scène, puisque ce dernier a opté pour une scène nue, n'étaient deux estrades qui ont eu plusieurs rôles scéniques. En outre, on dit souvent… toujours, que le théâtre c'est d'abord les comédiens. Ces derniers ont été à la hauteur du risque. Les jeunes actrices, Mounia Roubhi Fissa (Goneril), Souad Chikh Djaoutsi (Régane) et Adila Soualem (Cordélia) ont été à la hauteur du risque. Abdelhalim Zribie, qui a campé Lear, a donné l'impression de s'être un peu reposé sur ses lauriers ; il n'a pas surpris et encore moins séduit. La chorégraphie, signée Slimane Habès, a eu une fonction sur scène. Compliquée et risquée, cette nouvelle adaptation de l'œuvre de Shakespeare est, malgré ses moments difficiles, un autre regard sur l'humanité. Un regard certes défaitiste, mais qui rend compte avec maladresse de la véritable nature de l'homme. Mais au final, ça reste peu crédible !