Etre roi n'est pas toujours synonyme de belle vie et d'insouciance. L'histoire a, plus d'une fois, démontré que cela peut même être une malédiction. Le roi Lear, ce personnage mythique du grand dramaturge anglais William Shakespeare, en a fait les frais et a finit par être la victime de sa propre progéniture. L'ingratitude et la cruauté ont eu le dernier mot. C'est dimanche dernier que la générale de la pièce théâtrale les Filles de Lear a été donnée au Théâtre national algérien face à un public constitué principalement par les fidèles du lieu. Le rideau se lève sur les notes tristes d'oûd. Le musicien Mohamed Zami se tient au fond de la scène, tel un témoin intemporel de la tragédie qui se prépare. Un nuage de fumée plane sur les planches, donnant l'aspect d'un rêve à cette pièce. Le roi Lear, interprété majestueusement par le comédien Abdelhamid Zribaa, apparaît en compagnie de son meilleur ami et bouffon. Il convoque ses trois filles pour une rencontre ultime, celle qui déterminera le sort de son héritage. Gonrel, Regan et Cordelia répondent à l'appel. Le roi a décidé que celles qui l'aiment le plus parmi ses trois filles seront généreusement récompensées par ses biens. Regan et Gonrel se lâchent et lancent des déclarations d'amour démesurées à leur père. Quant à Cordelia, la benjamine chouchoute du roi, elle a fait le serment de partager son amour entre son père et son époux. Elle demeure muette, incapable de mentir comme ses deux sœurs aux intentions cruelles. Le roi est furieux. Il est déçu par sa petite fille préférée. Il la déshérite et la chasse. Blessé dans son amour et son orgueil, le roi Lear n'est pas au bout de ses surprises car ses deux héritières se retournent contre lui et le traitent de vieux. Le roi est poignardé dans le cœur. Il découvre la face cachée et cruelle de ses deux filles. Dans cette tragédie familiale, un complot se prépare contre le roi, ourdi par Edmond, son fils illégitime qui veut sa part d'héritage. Ce dernier manipule les deux filles du roi. Il profite de l'amour qu'elles lui vouent et se sert d'elles. Le roi découvre cette énième trahison et quitte son palais en plein milieu d'une tempête. Cordelia, la fille bannie, revient vers son père, déguisée en homme. Elle le servira sans lui dévoiler sa véritable identité. Elle lui montrera qu'il a eu tort de la répudier ainsi. Et quand Cordelia laissera tomber son masque et dévoilera sa véritable identité, des bourreaux s'empareront d'elle, la violeront sauvagement et la tueront. Son corps sans vie est abandonné sur une table. Le roi serre sa fille dans ses bras et implore son pardon. Hélas, Cordelia a rendu le dernier soupir. Regan et Gonrel aussi, mortes empoisonnées par Edmond. Le roi Lear se retrouve seul. Mais ne l'a-t-il pas toujours été ? La pièce est jouée en arabe classique. Quant à la scénographie, elle a plus desservi le jeu qu'elle ne l'a porté. De plus, les comédiens ont dû supporter les couacs techniques qui ont émaillé la représentation. Cependant, la pièce est forte en émotion et images marquantes. La chorégraphie, signée Slimane Habbes, a occupé une grande partie du spectacle, donnant ainsi à l'expression corporelle l'occasion de dire les maux de cette famille déchirée. Le thème majeur, la soif du pouvoir et l'amour de l'argent qui peuvent avoir raison même des liens de sang, que Shakespeare a traité en 1600 n'a pas pris une ride et a semblé très actuel. Mise en scène et adaptée par Sid Ahmed Kara, les Filles de Lear a été sauvée par le jeu des comédiens qui se sont surpassés, à l'image de Tarek Bouarara dans le rôle du bouffon qui incarne le bon sens, la morale et sert de conseiller au roi. W. S.