Je dus donc me rendre à cette cruelle évidence que je ne devais alors compter que sur l'assistance de Dieu et sur mes propres et insignifiants moyens. Je courais en suivant le cours de l'oued où Sid Ali Hocine, Mohamed Allouane et Ali Fettaka devaient, ainsi qu'il avait été convenu entre nous, m'attendre au lieu-dit Kharoubat Muller (Le Caroubier de Muller) ; mais, à mon grand désappointement, je ne retrouvais aucun de mes trois compagnons à l'endroit indiqué. Je m'étais dit à ce moment-là : «C'est fini ! je suis fait ! les véhicules militaires ne vont pas tarder à m'encercler.» Je réussis pourtant à traverser la route avant l'arrivée de ces engins. Après une course éperdue qui me sembla durer une éternité, j'ai entendu les aboiements des chiens en provenance d'une petite ferme. Ayant crié : «Ya Mohamed, ya Mohamed !», j'ai tout de suite vu sortir un homme. C'était Si Tayeb Abinet, qui, ayant reconnu ma voix, accourt pour m'accueillir. Pointant du doigt la ville de Marengo en feu, il me dit : «Si Cherif, c'est bien toi qui as fait ça ? - Oui, c'est exact, lui répondis-je.» Plus tard, tous les gens de la dechra sont venus se rassembler autour de moi, me félicitant, m'embrassant pour l'attentat que j'avais accompli. Très touché par toutes ces marques de sympathie, les yeux noyés de larmes, je me tournais vers Si Tayeb pour lui dire de me guider au maquis. II me dit : «j'appelle mon frère pour nous accompagner.» Je lui ai dit : «Non, mieux vaut être deux que trois, car ainsi, nous aurons beaucoup plus de chance de passer inaperçus.» Je dis cela parce qu'il n'y avait pas moins trois pistes militaires français dans les environs de Meurad et de Marengo. Comme j'étais fort bien connu dans la région - on m'appelait Wild ez-Zouaoui, le fils du Kabyle -, les habitants de tous les douars que je traversais n'en croyaient pas leurs yeux de me voir vivant, sain et sauf. Tous avaient pensé que j'étais tombé sous les tirs de l'ennemi. Ainsi j'appris que Sid Ali Hocine, Mohamed Allouane et Ali Fettaka, qui avaient pris les devants accompagnés du guide Si Medjdoub, m'avaient bel et bien attendu au lieu prévu, puis ne me voyant pas arriver, ils avaient conclu que j'avais été abattu par la patrouille. Ce qui expliquait pourquoi les habitants étaient à la fois surpris et heureux de me revoir vivant : pour eux, j'étais en quelque sorte un revenant ! Arrivé au douar, je fus introduit dans le refuge où se trouvaient déjà Si Ahmed Maroc, assis près du feu, en compagnie de Sid Ali Hocine, Mohamed Allouane et Ali Fettaka. Surpris de me revoir en vie, alors qu'ils me tenaient pour mort, ces derniers se sont jetés sur moi, m'embrassant, riant et pleurant de joie à la fois et n'arrêtant pas de rendre grâce à Dieu de m'avoir accordé sa sauvegarde.- Nous étions tous très heureux d'avoir pu accomplir cette mission qui nous tenait vraiment à cœur. Nous fûmes ainsi chaleureusement félicités par tous nos compagnons combattants. Dans les jours qui suivirent l'attaque de Marengo, mes trois compagnons furent intégrés dans une section régionale de Moudjahidine, alors que pour ma part, je me retrouvais désigné comme commissaire politique, un avancement qui, certes, était des plus honorables et témoignait éloquemment de la grande confiance et de l'estime de mes chefs, mais qui, pour ce qui me concernait, ne m'enchantait pas du tout. Car mon fougueux tempérament me portait beaucoup plus irrésistiblement vers le combat et les actions de chocs directs où l'on se trouve en contact étroit et permanent avec le danger. C'était ainsi et je n'y pouvais rien. (à suivre...)