Leurs compétences militaires et leur parfaite connaissance du maniement des armes à feu devaient être d'une très grande et inestimable utilité pour nous autres qui n'avions jamais reçu d'instruction militaire avant de rejoindre l'ALN. Le mercredi 24 avril 1957, nous étions sur la route de Cherchell qui monte au sud vers les montagnes du Zaccar. Durant cette journée, l'ennemi ne s'était pas du tout manifesté, si l'on excepte les quelques avions espions que l'on voyait de temps à autre survoler la région. En fin d'après-midi, nous avons regagné nos refuges au douar Hayouna (Cherchell). Un agent de liaison vint nous porter une lettre du Capitaine Si Slimane, qui était le responsable militaire de la zone dont dépendait le commando Si Zoubir. Si Moussa me tendit la missive et me demanda de lui en faire lecture. Celle-ci faisait état des fréquentes incursions des parachutistes français dans le douar Sidi Mohand-Aklouche, y débarquant presque chaque jour, pour se livrer aux pires sévices et exactions, semant la terreur parmi les malheureux habitants. Le Capitaine Si Slimane nous donna l'ordre de marcher sur le douar pour attaquer la soldatesque ennemie et mettre fin à ses insupportables agissements contre la population civile. Après une petite halte de quelques heures au douar Hayouna, nous avons tout de suite pris la direction du douar Sidi Mohand-Aklouche, que nous avons enfin pu rejoindre après une dure marche de sept heures. Il était 3 heures du matin et un vent glacial soufflait sur la région. Si Moussa avait tout de suite porté son choix sur un emplacement qui conviendrait pour une éventuelle embuscade. Mais l'ennemi ne se manifesta pas ce jour-là. Nous avons donc quitté la forêt vers 16 heures pour nous rendre au douar voisin. Les habitants furent étonnés de nous voir, se demandant d'où nous pouvions bien sortir comme ça ! Ils nous firent un accueil des plus chaleureux, et s'empressèrent de nous préparer les refuges où nous devions nous reposer. Nous étions en plein mois de jeûne, et ce jeudi 25 avril 1957 était en fait la veille du vingt-septième jour du mois de ramadan, réputée être Leïlat El Kadr (la Nuit du destin). Le moudjahid Si Abderrahmane Sahnoun, d'El-Biar - l'infirmier de notre Commando -, nous avait promis de nous régaler en nous préparant une bonne zlabia, dont il tenait la recette de sa propre mère. En attendant l'heure du maghreb (coucher du soleil) qui nous permettrait de rompre le jeûne, nous sommes partis nous laver dans l'eau limpide qui coulait au fond de l'oued. Nous étions heureux de cette pause de relâche et de délassement, barbotant dans l'eau comme des enfants, assénant de petits coups de poing sur l'échine de notre cher compagnon Si «Listiklal», qui, impassible sous la pluie de tapes qui s'abattait sur lui, se contentait de nous dire d'un air détaché : «Ne vous gênez pas et faites donc tout ce qu'il vous plaira. Demain, Incha'Allah, je le sens très fort, je vais vous quitter pour un monde meilleur, et je vous devancerai ainsi au Paradis. Car moi, je vais mourir comme chahid, s'il plaît à Dieu.» (à suivre...)