Ce sont des choses qui arrivent dans l'existenc - ce vieil homme-là vivait avec sa seconde épouse : lui, il avait sa fille, elle, la sienne. Vivre avec la marâtre, chacun sait ce que c'est : tu te mets en quatre pour lui faire plaisir mais rien n'y fait. Tandis que sa fille à elle, on lui passe tout, et quoi qu'elle fasse, on lui tapote la tête, on lui donne du «bien, ma mignonne»... La belle-fille n'arrêtait pas : donner à boire et à manger aux bêtes, apporter le bois et l'eau, chauffer le poêle, balayer l'isba - et tout cela bien avant le jour ! Rien à faire, jamais la mégère n'était satisfaite, ce n'était pas ça, c'était mauvais. Le vent, il lui arrive de faire du vacarme, puis il s'apaise. La vieille mégère, non ! Quand elle s'en prend à quelqu'un, c'est pour longtemps. Si bien qu'à la fin elle se met en tête de rayer la belle-fille du nombre des vivants ! — Emmène-la, crie-t-elle à son vieux, conduis-la où ça te chante, je ne veux plus la voir ! Tiens, dans la forêt ! Conduis-la puisqu'il gèle à pierre fendre ! Le vieil homme en est tout marri ; il verse d'amères larmes. Mais que peut-il faire ? Cette femme-là est un démon. Il attelle donc le cheval... — Monte dans le traîneau, ma fille chérie... Arrivé dans la forêt, il la dépose dans la neige, au pied d'un grand sapin, et l'abandonne à son sort. Assise sous le sapin, la jeune fille grelotte et frissonne. Et soudain elle entend comment le père Gel fait craquer les arbres alentour, comment il passe de sapin en sapin en sautillant, en crachotant, il est bientôt dans le sapin sous lequel la jeune fille est assise, de là-haut il s'enquiert — As-tu chaud, ma fille ? — J'ai chaud, petit-père Gel, j'ai chaud, merci. Le père Gel descend alors de quelques branches, en crépitant, en crachotant plus fort : — As-tu chaud, ma fille ? As-tu chaud, ma belle ? — J'ai chaud, petit-père Gel, j'ai très chaud, merci. Il descend encore plus bas, le père Gel, en crépitant, en crachotant de plus belle : — As-tu chaud, ma fille ? As-tu chaud, ma belle ? As-tu chaud, ma mignonne ? Déjà la jeune fille sent son corps s'engourdir, elle remue la langue avec peine : — Hou-là, comme j'ai chaud, gentil père Gel... Alors, le père Gel a pitié de la pauvrette ; alors, il l'emmitoufle de ses douces fourrures, il la réchauffe de ses duvets épais. A la maison, la marâtre prend déjà ses dispositions pour les funérailles. Et tout en cuisant les crêpes, elle crie au mari : — Va, vieil hibou, ramène ta fille ! Nous allons la conduire au cimetière maintenant ! Le vieux reprend le chemin de la forêt, et quand il se rend au grand sapin, que voit-il ? Sa fille est là, indemne et bien vivante, ses yeux pétillent de bonheur, ses joues sont roses ; elle porte une fourrure de zibeline, de l'or et de l'argent et il y a devant elle un plein coffre de riches présents ! Grande est la joie du vieil homme ; il charge la marchandise dans le traîneau ; il y installe sa chère fille et reprend le chemin de la maison. La mégère, là-bas, est toujours à ses crêpes. Et sous la table, il y a le chiot de la maison qui clabaude : — Vouah, vouah ! La fille du vieux revient toute d'or et d'argent parée ; celle de la vieille ne trouve pas à se marier... La vieille lui jette une crêpe : — Aboie-moi comme il faut ! Dis : «La fille de la vieille trouvera riche mari ; celle du vieux, on en ramène les abattis...» (à suivre...)