Si le quotidien des hommes est loin d'être rose, celui des femmes est, semble-t-il, encore plus triste. Enfermée le plus souvent entre quatre murs, la jeune femme kabyle n'a que la télévision et ses séries plus ou moins sirupeuses au menu. Actuellement, l'acteur de la série turque traduite en arabe Mohened, fait fureur et une jeune femme peut, par exemple, laisser brûler son dîner pour ne pas rater un épisode. Sortir mais pour aller où? Dans les champs? Il n'y a plus rien à faire en ces temps de canicule. Aller à la plage est impensable pour les demoiselles et pas toujours évident pour les dames. Et puis, la plage nécessite un véhicule et évidemment des dépenses que tout le monde ne peut s'offrir. Belles et voulant mordre la vie à pleines dents, comment alors Taouès, Ouarda, Katia et Sabah et d'autres jeunes filles meublent-elles leur quotidien? Taouès est étudiante en biologie, les éprouvettes sont son monde et les formules chimiques n'ont aucun secret pour elle. Ouarda est «chômeuse diplômée». Elle a trouvé du travail mais sa famille a exigé d'elle qu'elle garde la maison. Ses seules sorties sont pour les soins ou encore de temps à autre pour se rendre chez la coiffeuse. Un avenir tracé Elle se rappelle de «ses vertes années et le temps de l'université ainsi que ses copines qui, aujourd'hui, sont pour la plupart mariées et mères de famille». Katia, elle, est coiffeuse, elle est sans doute la plus jeune d'entre les quatre, elle est un peu espiègle et se prête volontiers au jeu des questions et réponses. Sabah est plus réservée et se contente de sourire, elle finit pas dire que l'avenir pour elle et ses consoeurs est tout tracé «devant les fourneaux et avec une ribambelle d'enfants». Ce qui finit par dérider le groupe. Katia commence par dire: «Les vacances? Qu'est-ce-que c'est cela? Nous, on a le travail et après la maison avec les tâches ménagères souvent la télévision et puis, tirez les rideaux.» Elle ajoute: «Aller à la mer, c'est mon rêve mais allez dire, vous, à la famille que la plage n'est pas un lieu mal famé. Oh! oui, il m'est arrivé de voir la mer de loin et à la télévision. A part cela, je passe mes heures à feuilleter les revues que je peux me procurer finalement». Ouarda n'est pas d'accord, elle pense que «pour une jeune fille de famille, sortir seule et aller à la mer n'est pas une chose simple et puis, il y a du travail à la maison!» Elle affirme qu'à la maison, il y a tellement de choses à faire. «C'est sûr, je voudrais bien avoir un emploi et être financièrement indépendante mais bon, c'est ainsi et c'est tout. Il m'arrive de faire du lèche-vitrines. Si j'avais un salaire, il y a tellement de choses que je voudrais acheter!» «Les premiers temps, rester à la maison me paraissait impossible mais l'on s'y fait et ces temps-ci, une belle série passe à la télévision...» C'est à ce moment que Sabah sort de sa réserve pour s'écrier presque, «Mohened. Tu vois la série, je ne rate aucun épisode et les acteurs sont sublimes» (entendre par là que l'acteur principal semble être la coqueluche des femmes). On l'encourage pour raconter son histoire et faire part de son quotidien. Ainsi gentiment sollicitée, elle se met à raconter les mêmes problèmes et les mêmes soucis que ses camarades. Sabah affirme ne rater aucun épisode de Mohened, la série qui captive les femmes, vieilles et jeunes. Puis elle revient au quotidien. Pour elle c'est actuellement la «période politique, on ne comprend pas, et elle précise "ma mère est en train de négocier" avec mon père afin qu'il m'autorise à suivre un stage en informatique, car un petit diplôme de plus en poche, c'est toujours cela de pris. Une fois cela acquis, ce sera certainement moins dur après, car avec ce diplôme, je pense pouvoir décrocher un travail». Taouès reprend la parole et d'un ton assez mesuré affirme: «Quand les hommes comprendront, chez nous, que les femmes sont aussi des êtres humains, alors on pourra dire que nous sommes un pays développé.» Ainsi, à Tizi Ouzou, il y a des rues déconseillées aux jeunes femmes. Des voyous sont là à attendre le passage des filles et leur plus grand plaisir est de les embêter. Même des dames mariées n'échappent pas à ces hooligans. Certes, il y a des endroits à Tizi Ouzou où une femme seule peut prendre une glace ou encore tout bonnement s'asseoir pour un café, mais ils ne sont pas légion. Et souvent, même dans ces endroits, une fille seule est embêtée. «C'est pour cette raison que je comprends les réactions de mes parents. Des filles se sont fait insulter, voler leurs bijoux et souvent même si la fille répond, c'est une gifle qui part.» Taouès se tait et l'on comprend que les jeunes filles sont gênées de se retrouver ainsi à bavarder longuement avec un inconnu, alors on s'excuse et chacun part de son côté. Elles vivent avec certainement des rêves de voyages plein la tête, des rêves de voyages vers ces pays que l'on dit plus calmes et où les jeunes femmes peuvent sortir, s'amuser, aller à la plage sans s'attirer des quolibets. En somme, vivre tout simplement. Qu'en pensent les garçons? On a cherché à savoir ce que pensent les garçons sur ce «calvaire» que vivent les filles. Entre quatre murs, avec seulement la télévision. On a demandé à Hamid, Lounès et Djamel de donner leur point de vue à ce sujet. Hamid ne comprend pas la question: «Vous voulez que j'autorise ma soeur à aller seule à la plage? Mais vous vivez où?» On s'explique, il s'agit seulement d'offrir à la famille quelques jours au bord de la mer, c'est gratuit et reposant. Hamid reprend la parole «Oui, c'est vrai et je vais vous dire, ma mère qui va sur ses soixante-dix ans, n'a jamais connu la mer. Mais essayez d'aller dans une plage et voyez comment les gens se comportent, c'est tout simplement inadmissible.» Djamel intervient pour affirmer que «lui a essayé de sortir en famille à la plage du Figuier, j'ai failli en arriver aux mains à au moins trois reprises. Depuis, non merci, je préfère que mes soeurs restent à la maison, c'est une protection et non une punition.» Lounès, lui, ne semble pas du tout partager les avis de ses camarades, pour lui, «la femme est libre. Je vois tous les jours des jeunes femmes descendre des villages faire leurs emplettes et aller normalement s'attabler au restaurant et souvent aussi entrer prendre une glace dans un salon de thé, je ne crois pas aussi que nos plages soient aussi peu fréquentables que vous le dites. En fait, tout dépend du comportement de la jeune femme et de son accoutrement». Il ajoute avec assurance: «Oui, il faut que nous comprenions une fois pour toutes, que la femme a les mêmes besoins que l'homme et la loi lui reconnaît les mêmes droits que pour l'homme.» Les garçons semblent reconnaître aux filles, du moins dans leur conversation, les mêmes droits que les leurs, mais certains pensent que la fille doit être protégée des voyous. Ceci est une autre histoire. Aussi bien Djamel que Hamid affirment tous deux que cela devra s'apprendre à l'école et la famille se doit de prendre en charge ce sérieux problème. Il faut que les choses bougent et que la société s'implique.