Fête n Une heure à peine après la rupture du jeûne, les gens s'attablent déjà sur la terrasse du café, tandis qu'à l'intérieur aâmi Rabah s'affaire aux derniers préparatifs pour accueillir la troupe musicale. Au café El Bahdja, c'est comme un rituel qui se pratique chaque soir en ce mois de ramadan et ce, depuis la conversion de ce commerce en café «chantant» en 2004. Appelé également par les habitants de Bab El-Oued «café du chaâbi», ce lieu est d'une symbolique à l'origine lointaine. Avec un sourire accueillant : «Saha f'tourkoum ! Soyez les bienvenus !» nous a lancé aami Rabah. Assis autour d'une table dans la terrasse, le quinquagénaire aux cheveux blancs nous propose de commander quelque chose. Notre choix s'est porté unanimement sur du thé, boisson incontournable pour savourer une «qaâda» digne d'une époque révolue. Il appela alors son frère pour lui transmettre la commande avant d'inviter un homme d'un certain âge à rejoindre notre table et dont nous apprendrons le rôle dans les minutes qui suivent. C'est le non moins Omar Boudjemia, un ancien élève du regretté chantre de la chanson chaâbie, El Hadj Mohamed El Anka. Il prend vite la parole pour nous dire que l'initiative de la création remontait à l'époque du père des frères Assas, Abdelkader Assas, qui gérait ce café et qui voulait, alors, «ressusciter les traditionnelles soirées chaâbies dans les cafés maures de la capitale». Selon leurs explications, l'histoire qui lie le café El Bahdja au chaâbi est très ancienne et remonterait à bien avant l'Indépendance. De grandes figures de la chanson chaâbie, à l'instar de Hadj Menouar, Guerrouabi, El-Hasnaoui, Chaou, Aziwez Rais et la liste est encore longue, sont passées par là. Le chaâbi, un genre musical traditionnel, ancré dans la mémoire collective de la société algérienne tient toujours une place un peu particulière ici à Bab El-Oued. «Ici, comme le dit si bien un mélomane, durant le ramadan les gens de tous les âges respirent le chaâbi». «Pour ce ramadan, chaque nuit, on invite un artiste, un cheikh, pour animer une soirée musicale», annonce aami Rabah. «Aujourd'hui, tous les nostalgiques s'y retrouvent», renchérit Boudjemia. 23h environ. Le son de la mandole commence à retentir, brisant le bruit des voitures qui passent. Ce soir, c'est Hamid El Aïdaoui qui bercera deux ou trois heures durant les dizaines d'âmes qui s'y trouvent. Le chanteur ouvre la soirée avec les Masrafat, puis enchaîne avec le kacid Ya el ouahdani (Eh toi, solitaire !), pour terminer avec du M'khiles avec Idh Kounta Aâchiq (Si tu es amoureux ) avant de prendre une pause sous les applaudissements de l'assistance. Pour le restant de la soirée, «c'est l'humeur du public qui commandera de ce que nous allons jouer», nous dira Hamid avant d'expliquer que certaines personnes demandent des chansonnettes qui offrent un rythme dansant, c'est d'ailleurs ce qui se passera après la pause. Le chanteur a repris avec une chansonnette qui a drainé des vieux et des jeunes sur la «piste de danse». C'est sur cette note festive que nous quittons, bien malgré nous, cet espace convivial qui ne manquera certainement pas d'enchanter ses hôtes durant les soirées qui nous séparent de l'Aïd.