Résumé de la 1re partie n En France Louis XIV est au faîte de sa splendeur. En Pologne Jean III Sobieski, grand admirateur du Roi-Soleil, s'efforce d'installer sa dynastie sur le trône polonais. Jean III ne les collectionne pas pour les laisser enfermés dans des cages. Il essaie toujours d'en faire des animaux «de compagnie». Le maréchal Chrysostome Passe est dans ces années-là le propriétaire d'une jolie loutre qu'il a patiemment apprivoisée. On sait que cet animal est d'un naturel joueur et gracieux. La loutre du maréchal est dotée d'un nom court et facile à retenir : «Ver». Le soir, Ver se glisse dans le lit du maréchal et jamais elle n'y fait la moindre saleté. Elle s'endort en enfouissant sa jolie tête fine entre ses pattes palmées. Sa superbe fourrure marron brille sur les couvertures de brocart d'or et d'argent. D'ailleurs, Ver est jalouse et considère avec méfiance les domestiques qui frôlent leur maître de trop près. Lui enlever ses bottes est un exercice à risque. Si quelqu'un s'approche de la chambre de son maître, elle pousse un cri strident, se dresse et montre ses petites dents pointues, prête à mordre. Si le maréchal a trop forcé sur l'alcool de grain et s'endort lourdement dans son fauteuil, Ver monte la garde et empêche quiconque de l'approcher. Le maréchal est fier de lui faire exécuter un tour intéressant. Dès qu'elle est au bord d'une rivière, Ver se jette à l'eau où on la voit se déplacer par ondulations gracieuses du corps et de la queue. Bientôt, elle remonte à la surface en tenant un beau poisson entre ses dents, puis elle saute sur la berge et vient gentiment déposer sa prise aux pieds de son maître, attendant une caresse. Son maître lui dit alors : — Grenouille. Aussitôt, la loutre replonge et revient en tenant avec précaution une grenouille verte dont le regard semble encore plus ahuri que de coutume. Parfois, comme pour faire peur à son maître, Ver plonge et disparaît complètement pendant presque une minute. On commence à s'écrier qu'elle s'est noyée. Enfin, elle réapparaît et tous les assistants applaudissent. Aussi, à chaque fois l'assistance est de plus en plus nombreuse, ce qui finit par causer quelques bousculades tant on se presse pour voir l'intelligent «chien d'eau» car les occasions sont rares de voir un «chien d'eau» en plein jour : ses habitudes nocturnes la rendent invisible au commun des mortels. Ver n'aime ni le poisson ni la viande crue. Il ne lui faut que du poulet ou du pigeon bouilli et elle ne s'y intéresse qu'à une condition : qu'il soit abondamment parsemé de persil... Ver est un vrai chien de garde. Si quelqu'un le côtoie de trop près, le maréchal s'amuse à crier : «On me touche ! On me touche !» Aussitôt, Ver s'agrippe aux basques de l'intrus comme un roquet en furie. Ver est aussi d'humeur sociable. Son compagnon de jeu est un caniche nommé Caporal. Les deux animaux ne se quittent guère. C'est le seul des chiens du palais qu'elle supporte. Si un hôte du maréchal est accompagné de ses propres chiens, ceux-ci ont tout à craindre de la loutre jalouse. — Cher ami, gardez vos chiens, ma loutre est là. — Vous avez raison ; ils pourraient lui faire un mauvais parti. — Point du tout : c'est elle qui pourrait les mettre à mal. — Cette bestiole chétive ? Vous voulez rire. — Tenez-vous-le pour dit. Un des chiens du visiteur surgit dans la salle voûtée, tenu en laisse par un domestique. Il renifle une odeur de sauvagine qui l'intrigue. Ver s'approche sans timidité du molosse et le hume à distance respectueuse. Le maréchal, qui connaît sa loutre, n'est pas inquiet : Ver sait se faire respecter sans la moindre effusion de sang. Alors que le maréchal et son visiteur reprennent leur conversation un moment interrompue, on entend soudain un jappement surpris : le molosse vient de recevoir un coup de patte griffue en plein sur la truffe. Le maréchal dit : — Lâchez donc votre dogue et que l'on voie un peu ce qui se passe. (à suivre...)