Contexte Il y avait des ennemis à repousser et un semblant de paix à entretenir. Il y avait des richesses et un legs ancestral à préserver. Enfin, il y avait toute une vie à mener dans les dédales de l?imprévu. Une citadelle devait, dès lors, voir le jour. 1500 et quelques poussières? La Casbah vient de naître de toute sa blancheur comme un bébé emmailloté dans un beau berceau dorlotant. Une idée simple dont l?ingéniosité n?a d?égal que l?émerveillement d?un randonneur contraint à ensemencer les salamalecs dans tous les coins et recoins des ruelles serpentées pour esquiver les mauvais regards et apprendre à rebrousser chemin sans avoir à rougir en tant qu?intrus dans les mille culs-de-sac. Une idée simple dont la grandeur n?a pas laissé sans réaction l?inimitable Le Corbusier qui avouait qu?«en construisant leur Casbah, les anciens avaient atteint le chef-d'?uvre de l'architecture et de l'urbanisme». On connaît Le Corbusier, celui qui a promis, en 1930, des gratte-ciel longeant la baie d?Alger, mais pas le moindre indice sur les architectes de cette envoûtante et énigmatique Casbah. Qui a construit cette masse compacte au c?ur d'Alger, accrochée à un flanc de colline où les maisons se superposent, où les terrasses dominent d'autres terrasses et où, sur fond de mer, flottent des lessives bariolées ? Qui a érigé des rampes, des escaliers, des ruelles parfois couvertes, des chicanes, des boyaux, pour en faire un labyrinthe étourdissant ? Ici n?apparaissent ni la silhouette fantomatique de femme en voile blanc ni le petit indigène juché sur son mulet, descendant au galop les escaliers asymétriques. Mais les chevauchées de Ali La Pointe, immortalisées par Pontecorvo dans La Bataille d?Alger sur fond de musique torride d?Ennio Morricone, enclin, pour une fois, à ranger son harmonica du western-spaghetti, sont timidement remplacées par celles d?une nuée de bambins qui s?y adonnent à c?ur joie au milieu d?un amas de pierres, en paix juvénile, loin de la tumultueuse rue de la Lyre, où tout se vend et s?achète entre adultes. L?autre énigme n?est, en fait, que cette profusion de maisons et maisonnettes au féminin pluriel. Dar Khdaouej el-Amia, Dar Aziza, Zniket Lalahoum, Skifet lebnet? que d?allants féminin squi rappellent subtilement le culte du «harem» dans une époque ottomane où l?on délimitait difficilement les frontières entre la «hourra» et l?esclave. Jadis, la blancheur de la citadelle faisait penser à cette belle femme, la mèche rebelle, emmitouflée dans son haïk immaculé. Une femme dont on ne sent plus le parfum ensorcelant emporté, loin des miradors, par la puanteur des immondices venus, par une assassine effraction, y prendre définitivement place. Zoudj Ayoun. Le pavé est toujours solide en dépit des mille pas encombrants ainsi que des véhicules et chariots, déversant huiles et détritus. Egouts et déversoirs sont suffisamment pleins pour vomir un trop-plein de résidus et de sang coulant à flots durant l?époque du terrorisme. La fontaine est à sec. Elle n?est plus là pour rafraîchir ceux qui, sac en bandoulière, doivent emprunter les chemins qui montent, jusqu?à Bab J?did, l?une des six portes de l?antique Mezghena, avec, en sus, la peur au ventre d?être pris dans le traquenard de voleurs sans foi ni loi, canif en main et prenant immédiatement la fuite une fois leur sale besogne accomplie. Plus haut, une petite coupole en noir, tel un grand ?il fardé de khol, domine les lieux. C?est le mausolée de Sidi Abderrahmane. Lieu sacré pour prendre une dose de mysticisme, voir l?essaim de pèlerins, cierges allumés à l?intérieur du mausolée, en train de psalmodier versets et louanges et quittant les «lieux saints», avec h?djeb et talismans, non sans avoir versé une dîme au gardien du «temple». A quelques mètres plus loin, de beaux décibels sont emportés par la brise hivernale pour s?inviter finalement dans un seul air sous un vestibule voûté de vieilles arêtes. L?estaminet, chaises et tables érodées, est plein à craquer. Youm el Khmis jaillit des lents crépitements d?un vieux 45 tours et les vieux de la chaumière ne se lassent pas, dans le brouhaha, de chercher la diabolique astuce pour mettre edama fel oued. Les quelques ankaouis, fidèles du vieux maître de Kahouet Malakoff, sont, eux, noyés, par un air raffiné, dans leur chagrin et tourment alors que dehors, sous un soleil plus brûlant que scintillant, des quidams ornés par la foi s?accommodent beaucoup plus par des «Allaouakbar» lancés, à l?heure de la prière du d?hor, en ch?ur par les minarets des deux célèbres mosquées de «la Mahroussa» : Djamaâ Fateh et Djamaâ Ketchaoua. Entre les deux, la rivalité reste sournoisement légendaire et les pieuses prières pour que la citadelle ne se fissure pas davantage sont restées malheureusement sans écho?