Quel heureux événement que celui où Alger, capitale algérienne, se parera pour devenir capitale culturelle et de quel monde : arabe. L'année 2007 couronnera la ville méditerranéenne aux longues conquêtes coloniales pour inaugurer la culture arabe dans le monde. Quelle meilleure occasion que celle-là pour faire le bilan de la culture. Arabe ? Pas seulement, car ne s'agit-il pas avant tout d'Alger. Et Alger, bon gré mal gré, a dû composer avec toutes ses affluences pour se définir dans une sorte d'identité encore mal libellée. Et puis, pour reprendre les artistes interrogés durant cette enquête, la culture n'a pas de frontières. Ce sera le thème de cette enquête : galvauder des idées artistiques tantôt complaisantes tantôt dénonciatrices d'un chaos qui ne porte pas de nom. Les sept arts, ajoutés à l'architecture qui s'est invité aux festivités, seront évoqués dans cette enquête. Non exhaustive, elle se veut être le porte-parole de ceux-là qui animent la vie culturelle algérienne. Troublés par les remparts qui font le jeu de certains, les artistes sont sortis de leur mutisme verbal pour illustrer ce qui gangrène leur inspiration ou leurs efforts. Accoutumé à une guitare, un pinceau ou un public, ils se feront violence pour définir les contours de leur amour premier, fustiger les gouvernants acculturés et former leurs vœux pour un avenir un peu plus coloré. L'expression de leur analyse sur les secteurs artistiques doit servir de rebond vers un avenir constructif. Prendre conscience du néant pour immortaliser l'art. La promotion du cinéma, la création de galeries où l'inventaire d'auteurs de renom doit nécessairement se faire si l'Algérie se veut être l'expression d'une nation à la croisée des chemins. La libre expression artistique si longtemps tue ou étouffée doit passer par des canaux balisés et formatés, mais certainement pas domptés. ça n'a pas changé. » Ce ne sont pas les paroles du groupe de la milice française coloniale venue appréhender les moudjahidine algériens. Nous ne sommes pas en 1956 et la révolution algérienne est bien finie. « ça n'a pas changé », reprend un touriste français devant ce qui ressemble toujours aux décombres d'une maison mauresque. L'année 2006 s'est définitivement fâchée avec la pluie et son mois de décembre a des douceurs automnales. Sous un soleil franc et un ciel complice, les décombres de la maison dans laquelle est venu se réfugier Ali La Pointe, présentent un visage esseulé et désolant. Les décombres de 1957 sont toujours là. Seul témoin du temps qui passe : une stèle en marbre fissuré qui rapporte qu'Ali La Pointe a bien été tué ici par l'OAS. Caché dans une pièce secrète d'une maison mauresque de La Casbah, ce jeune révolutionnaire pas tout à fait de Bologhine mais volontairement engagé dans ce combat pour l'indépendance vit ses derniers instants. Que s'est-il dit à ce moment-là ? A-t-il compris qu'il allait mourir ? A-t-il regretté son engagement ? Les lieux témoignent encore de sa présence et il n'est pas difficile d'y songer. Le sacrilège Les pierres ont l'air d'avoir tremblé comme si elles venaient de s'arrêter de rouler. Plus de 50 ans après l'événement, l'abri parle mais s'entête à raconter une autre histoire. Pas celle d'Ali La Pointe. Une histoire plus récente et qui donne aux morts des aspects lugubres de fantômes. Ces fantômes sont les habitants de La Casbah. Celle qui a vu naître tant d'espoir et de rebuffades pleure le temps où elle était belle. Où elle était jeune. La place d'Ali La Pointe est figée dans le temps. Et il ne s'agit pas d'une vue de l'esprit ou d'une réalisation artistique qui, en laissant la maison détruite en l'état, intimerait à l'esprit le devoir de mémoire. Les débris, les pierres roulent encore dans cette place nauséabonde parce qu'elle est abandonnée. La place est devenue décharge publique en plein centre de La Casbah. La citadelle ferme ses bras pour garder le secret sur les tortures que l'on fait subir à nos martyrs. En fantômes, ils errent. L'abri désolé d'Ali La Pointe, devenu capharnaüm pour rats qui règnent en maîtres sur cet espace repu de saletés, n'est que l'ultime sacrilège asséné à toute la vieille ville. La Casbah, qui a survécu aux tremblements de terre, aux inondations, aux conquêtes et colonisations, s'est véritablement effondrée le jour où on a décidé de la rajeunir. Pour sûr qu'elle aurait préféré mourir sous les bombes françaises ou s'affaisser comme un château de cartes un certain 21 mai 2003. Quelle pire tragédie que de redonner un coup de blush à une peau fripée ou du collagène à une lèvre affaissée. Imaginez une ancienne star de cinéma version années 20, relookée, maquillée et opérée façon starlette du nouveau millénaire. « On a badigeonné La Casbah à coups de peinture blanche, de ciment et de sable de mer », explique un conservateur qui désire garder l'anonymat. Une forme d'injection mortelle qui conduira la vieille ville à mourir lentement. Notre guide poursuivra : « Il existe différentes écoles quant à la conservation des anciennes architectures. L'école française, qui consiste à préserver un bâti en le nettoyant régulièrement mais sans toucher à tout ce qui est originel. L'école italienne, celle qui s'est chargée du Bastion 23, reproduit les techniques de l'époque pour préserver une bâtisse. Il n'y a en apparence aucun changement à ceci près que des travaux de confortement ont été faits pour permettre à l'architecture de survivre. Un mot d'ordre : tout détruire pour tout refaire mais de façon analogue. Et puis il y a l'école polonaise. » Elle fait la préférence du conservateur et il nous explique pourquoi : « L'ingéniosité de cette école repose sur le fait qu'elle utilise les matériaux de l'époque pour conforter ou arranger un bâtiment ancien. Varsovie a été refaite grâce à ce qui restait comme débris des bombardements. » Méthode économique et respectueuse. Il reste une dernière méthode, bien de chez nous. Celle-ci consiste à restaurer avec des matériaux modernes sans préserver la structure ou l'esprit de la construction. En témoigne l'une des premières mosquée de La Casbah et donc l'une des plus anciennes : la mosquée Sidi Ramdane. Seules les salles de prière ont été retapées. Le minaret, vieux de plusieurs siècles, semble être sur le point de piquer du nez. L'enceinte extérieure présente des murs ensablés et beige clair. La texture est d'ailleurs sablonneuse mais également salée. « On a volé du sable de mer pour reproduire la chaux qui tapisse les murs de La Casbah. Sauf que la chaux n'est pas composée de sable de mer car le sel attaque les murs », indique le conservateur. Il soutient à ce propos que le ciment injecté pour boucher les fissures étouffe le mur surtout lorsqu'il est posé sur de la chaux. Le résultat chimique qui se dégage de cette drôle de composition consiste à aider l'humidité, particulièrement importante en bord de mer, à s'infiltrer et à créer des gondolements. Cela accélère la dégradation. « C'est comme mettre un sachet en plastique sur la tête de quelqu'un », avance le conservateur en guise d'analogie. La chaux empêche les microfissures que provoque le ciment. Utilisé par les Turcs lors de la construction de la ville, il s'agit d'un mortier de pâte composé d'un volume de sable jaune, un volume de sable de rivière, un volume de brique pilée pour donner de la consistance. L'applique du mortier est particulière. Il faut un pinceau particulier, ce qui permet à la bâtisse de ne pas être altérée et la couche fait figure également de film hydrofuge. Les constructions de La Casbah ont un signe particulier : les rondins de thuya qui amortissent et soutiennent les constructions en cas de séisme. Utilisé dès 1716, les rondins sont ces planches en bois appliqué après une couche d'argile de 5 à 20 cm d'épaisseur. Par-dessus, on retrouve le marbre si le propriétaire était issu d'une couche sociale supérieure à celui qui ne pouvait que garnir sa maison de faïence. Les rescapés Le Bastion 23 est un rescapé. Les travaux de confortement ont été entrepris en 1987 par une équipe italienne. Respect de la conservation et utilisation d'un mortier spécial. Il existe quelques incrustations dans le mortier au niveau du bastion mais cela a été refait avec, selon le conservateur anonyme, une couche protectrice à base de résine thermoplastique qui préserve du sel et de l'eau. La citadelle devrait bénéficier d'une enveloppe de 140 milliards de dinars. Les travaux seront entrepris pas les Polonais, bureau d'études mondialement connu dans le secteur de la restauration : PKZ. Ils devraient aboutir dans 5 ou 6 ans. Des études avaient été entreprises sur la citadelle entre 1974 et 1980. Ces travaux n'ont pu aboutir à la restauration faute de moyens. Elles ont été réactualisées et prises en compte par le bureau d'études polonais. Des travaux d'urgence ont déjà été entrepris au niveau des remparts et des poudrières. Des fouilles archéologiques ont lieu en même temps que les travaux de confortement. La citadelle fait 24 000 m2. Bab Jdid constituait l'unique porte de la citadelle avant 1848, date à laquelle la citadelle a été éventrée par les colons pour faire définitivement disparaître le jardin du dey. Elle a été construite en 1516 sur ordre de Barberousse pour défendre la ville. Le bâtiment est typiquement militaire avec des murs dont l'épaisseur varie entre 1,5 à 6 m. La hauteur varie entre 16 et 22 m. Fontaines et mosquées Suite au tremblement de terre de 1716, qui a coûté la vie à 20 000 personnes, on a imaginé une seule bâtisse composée de plusieurs bâtisses qui bougeraient en un seul volume. La vieille ville était ainsi composée : 54 ha avec 5 portes. Il y avait 13 500 bâtisses à l'intérieur. Il n'en reste que 900. La Casbah comptait 150 fontaines, 122 mosquées et 4 aqueducs. La Casbah compose avec plusieurs dualités : dualité de l'ombre et de la lumière, de la terre et de la mer d'où la création des terrasses. Dualité de la terre et du ciel, d'où la création des patios (pour voir les étoiles).