Dans cet entretien, Belkacem Babaci, historien-chercheur et ex-responsable de la délégation Casbah du temps du gouvernorat d'Alger, nous livre les axes de la stratégie nécessaire à restaurer une citadelle comme celle de La Casbah d'Alger et faire sortir cette Casbah des rets de la négligence, du laissez-aller… Liberté : Pouvez-vous nous décrire les actions que vous avez entreprises du temps où vous étiez à la tête de la délégation Casbah et quelles étaient cette mission ? Belkacem Babaci : Le décret exécutif portant organisation de l'ex-gouvernorat du Grand-Alger mentionnant dans un de ses paragraphes la mise en place, voire la création d'une structure chargée spécialement de la sauvegarde et la restauration de La Casbah dénommée “délégation”. Celle-ci est dotée des pouvoirs de puissance publique, c'est-à-dire opérateur unique ou chef d'orchestre chargé du suivi de toutes les opérations liées au bâti en général et au patrimoine en particulier. L'APC a pour mission toutes les autres opérations (état civil, administration, etc.). Tel était le vœu de l'Unesco et du mouvement associatif, surtout la fondation Casbah. La création de cet organisme s'est attelé à des actions immédiates dès 1989 afin de mettre un terme à la gestion amphigourique du tissu et sauver ce qui pouvait l'être du bâti (686 bâtisses à préserver et 200 environ à réexaminer en plus des palais et mosquées). Comment alors gérer un tissu surpeuplé, car tout le monde sait que La Casbah étouffait en 1990 ? Ce n'était pas un problème de gestion proprement dite du tissu au départ, mais un problème d'identification. Par cette action, trois objectifs devaient être atteints : 1 - alléger les bâtisses traditionnelles ; 2 - reloger les habitants non propriétaires dans des logements décents à l'effet d'accueillir ces dizaines les familles qui vivaient dans des conditions atroces (promiscuité, manque d'hygiène, dangers d'effondrement, etc.). ça tout le monde le sait ; 3 - après le “repos” des bâtisses et surtout leur allégement (suppression des surélévation des constructions internes, etc.), élaborer un diagnostic complet, évaluer les opérations de restauration dans les règles de l'art et entreprendre le plan d'action. C'est là un travail de langue haleine quand on sait que La Casbah dépasse les 30 hectares... Critère retenu dès le départ, c'est pour cela nous avons divisé La Casbah en cinq îlots pour intervenir îlot par îlot, et l'îlot Sidi Ramdane a été le premier et devait servir d'îlot-test. Ensuite au vu des résultats obtenus, passer à l'îlot Souk El Djema, ensuite Amar Ali et enfin Soustara.Le dernier îlot Lalahoum ayant été évacué sur l'îlot Sidi Ramdane, 498 familles ont été relogées dans les sites FSD et 22 propriétaires devaient rester. Les bâtisses évacuées (près de 150) ont été murées pour empêcher de nouveaux squatters et leur permettre de se stabiliser après les avoir débarrassés de toutes les constructions introduites, des grilles fermant l'îlot la nuit ont été installées et des gardiens désignés. Un concours d'idées a été lancé et des résultats concrets obtenus. Cela remonte au début de l'an 2000, que s'est-il passé depuis ? L'îlot Sidi Ramadane devait en une année nous donner un aperçu de ce que pouvait être La Casbah demain et comme cet îlot touche celui de Souk El Djemaâ, la même opération a été engagée, à commencer par l'identification grâce à M. Ouyahia, chef du gouvernement, qui nous a fait confiance (au ministre gouvernant, à la fondation Casbah et à moi-même). Malheureusement, en mai 2000, le nouveau wali qui a remplacé M. Rahmani a tout stoppé car il ignorait totalement les problèmes de La Casbah (il a quitté l'Algérie en 1990 pour ne revenir qu'en 2000, dix ans ! ). Tout comme le projet ambitieux du carrefour du Millénaire, c'est ainsi que nous avons perdu cinq années, soit la restauration de deux îlots (le tiers du tissu de La Casbah) Parlez-nous des actions de la délégation... Sur La Casbah, un document très important a été élaboré suite a de nombreuses réunions regroupant tous les techniciens algériens concernés par le vieux bâti. Ce document s'intitule Mécanisme et stratégie de sauvegarde de La Casbah d'Alger. Il renferme tout... de l'histoire jusqu'au prix éventuel de la restauration de chaque îlot, absolument tout le basic, les actions à entreprendre, l'itinéraire touristique, la renaissance des activités artisanales, etc. Ce document volumineux, soumis ensuite à un panel d'experts de l'Unesco avec à leur tête M. Bouchenaki, directeur adjoint de l'Unesco, pendant huit jours dans le cadre d'un “Focus Group International”, a été salué et approuvé à leur grande satisfaction. M. Bouchenaki avait déclaré : “Enfin La Casbah est prise en charge ; le soleil va briller sur elle.” Malheureusement, une éclipse est venue le contredire. Elle dure depuis quatre années. Comment imaginez-vous le futur de La Casbah ? Je vais peut-être vous suspendre, mais je conçois l'avenir de La Casbah à travers le prisme du passé. Je m'explique : La Casbah, comme vous le savez, est un repère, un témoin encore vivant de notre histoire, de notre passé. La Casbah est un modèle culturel et un reflet indiscutable de notre identité et de notre personnalité. Elle ne saurait parvenir à une pleine renaissance qu'à travers le résurrection de sa culture, des coutumes et habitudes de ses habitants, à travers leurs gestes les plus simples. Que l'on s'entende bien. Le problème n'est pas de cultiver une nostalgie du temps jadis. De même qu'il n'est pas question de développer un “particularisme ou une spécificité” algéroise. Il est plutôt question de restaurer un pan de notre histoire, hélas marginalisée. Mais le passé n'a de sens que s'il contribue à mieux appréhender l'avenir. Nous sommes sur le seuil du IIIe millénaire. Cette évidence nous incite à orienter nos efforts en vue de parvenir à une modernité réelle. Mais je le répète, cette modernité n‘aura de sens que si elle intègre au mieux tout le leg culturel, historique et social de notre pays. La Casbah en tant que repère de notre passé, pour ce qui concerne notre capitale, peut contribuer à opérer cette jonction entre ce passé, le présent et surtout l'avenir. L. S.