L'un deux, Si Ali, me dit : «Si Cherif, au moment où nous sentons que nous allons nous endormir, toi tu te réveilles.» Je lui ai répondu : «Allons, allons, marchez, marchez, dès que nous serons parvenus en haut, je vous dirai comment j'arrive à tenir le coup.» Mais au fond de moi-même je me disais que leur étonnement à l'égard de mes capacités de résistance physique extrême, était dû au fait qu'ils ignoraient que j'avais fait partie du redoutable commando Si Zoubir et de la fameuse katiba El-Hamdania à laquelle les grands chefs A.L.N. avaient donné un autre nom très significativement évocateur de ses mérites, en l'occurrence : Katibat essabr wal Imân (la compagnie de l'endurance et de la foi), parce qu'il nous arrivait souvent de marcher les pieds nus ensanglantés, écorchés par le tranchant acéré de la pierraille des ravins et des oueds, n'ayant pas de pataugas à chausser pour éviter ces désagréments... A cinq heures du matin nous sommes arrivés à Matmata (Zemoura) à côté du Djebel Amrouna, dans la région de Theniet El-Had où nous avons fait une halte pour nous reposer. Une douleur atroce dans mon ventre me réveilla, et comme je ne pouvais me retenir de hurler de douleur, mes compagnons ont accouru vers moi, pour voir ce que j'avais. Ils firent ensuite appel à un habitant, qui s'empressa d'aller chercher un bol d'huile d'olive dans l'une des maisons du village. A son retour, l'homme commença à masser une espèce de boule qui était apparue sur mon ventre et n'arrêtait pas d'enfler en me causant une souffrance abominable. Si Larbi dépêcha quelques moudjahidine pour chercher le docteur. Je continuais à pousser des cris de souffrance. Quelques trois ou quatre heures plus tard, le docteur Si Hassan (Youcef Khatib) s'est penché sur moi pour m'examiner. Il a constaté que j'avais une grave déchirure musculaire. L'infirmier Si Hamid lui a appris que j'avais sauté plusieurs fois des fossés, avec la mitrailleuse lourde sur l'épaule. Le docteur Si Hassen me déclara que j'avais une hernie, qui avait éclaté suite au trop grand effort fourni, et qu'il ne pouvait donc rien faire pour moi. Je devais subir d'urgence une opération chirurgicale mais, il n'y avait pas de bloc opératoire au maquis. Mon ventre me faisait toujours atrocement souffrir, bien que les massages faits avec de l'huile d'olive, avec beaucoup de précautions et de douceur, soient parvenus à remettre la boule à sa place. Le lendemain, il y eut un grand ratissage de l'armée française. Mais notre katiba a pu quitter à temps le périmètre ratissé. Les appareils ennemis survolaient la région et continuaient de bombarder de loin. Nous vîmes que l'infirmerie régionale était encerclée et qu'il y avait beaucoup de flammes qui s'élevaient dans le ciel. Je me suis dit alors que c'était bien fini cette fois, et cela sera à l'exemple de ce qui s'était produit dans l'infirmerie du Zaccar à Mesquer, où tous nos blessés furent tués ou faits prisonniers. L'ennemi est reparti vers 16 heures, et malgré tout le mal que je ressentais encore et les recommandations de ne pas bouger que le docteur m'avait faites, je n'ai pu m'empêcher de me précipiter vers l'infirmerie, pour porter secours à mes frères de combat, le soir même, j'ai retrouvé mes deux compagnons, le commandant Si Abderahmane Meguelati, de Ksar El-Boukhari, et le capitaine Si Abderahmane Hamoud Chaid (actuellement sénateur et auteur de l'ouvrage Sans haine ni passion), tous deux membres du conseil de la wilaya VI, qui couvrait les régions du Sud et le Sahara. (à suivre...)