Complexité n A Oran, le brassage des populations est tel que le langage et même l'accent typiquement oranais ont fini par disparaître. Par petites touches, el-wahrani, parler singulier des habitants d'El-Bahdja, a laissé place peu à peu à un langage mixte. En 1962, au lendemain de l'Indépendance, les Oranais étaient essentiellement concentrés dans les faubourgs de M'dina Djedida, El-Hamri, Medioni, Sidi El-Hasni, Sidi Snouci, sans oublier Sidi-El-Houari et les Planteurs. Ils avaient comme particularité de qualifier un certain nombre de choses par des termes dont on n'a jamais eu d'explication. On appelait le chewing-gum dans cette ville «tchikli». L'eau de Javel, «barbouze». Le vinaigre «likhiya». Un Européen, du moins un Espagnol d'Oran, était affublé du nom de «tchiko» et une Européenne de celui de «tchika». Le vendeur d'eau douce en bouteille ou en jerrican — Oran ayant toujours accusé un gros déficit en la matière — était appelé «sapha». Les noms des administrations étaient toujours précédés de «dar». «Dar Trab» pour les domaines, «Dar El-Adjeb» pour le musée, «Dar El-Mir» pour la mairie, «Dar El-Brifi»pour la préfecture. Il faut reconnaître néanmoins que certains vocables usuels ont été purement et simplement tirés du catalan, tels que «cabessa» pour «tête», «barrato» pour «beaucoup» ou «larga» ou «largo» pour «grand de taille». Cette diversité dans le discours faisait que l'Oranais de souche usait d'un langage à part, en comparaison aux idiomes de la région. Ce qui faisait sa particularité. Avec l'arrivée en masse de nouveaux migrants de l'arrière-pays, le parler oranais s'est effiloché pour se perdre pratiquement avant de sombrer dans l'oubli. Presque total. Des poches de résistance tentent de le sauvegarder mais elles sont très rares. Surtout dans les vieilles familles, qui veulent marquer leur différence avec le reste d'une population en perpétuelle mutation. En fait, nous assistons très probablement à la naissance d'une nouvelle langue, du moins d'une nouvelle manière de parler qui tire son essence de la réalité du terrain. Des mots nouveaux sont venus se greffer au «générique» oranais, et sont véhiculés dans le langage de tous les jours. Tels «dégoutage» pour exprimer «le ras-le-bol général», «harga» ou «boti» pour parler d'évasion, de nouvelle vie. Les expressions d'antan sont petit à petit remplacées par de nouvelles tournures, aujourd'hui le reflet de la «mal vie» Au point que lorsqu'un jeune sort de ses gonds, il ne dit pas je m'énerve, mais je «décolle».