Capitale de l'Ouest, destination favorite des Algériens, Oran a manqué son rendez-vous avec l'été. Les rues, les bonnes adresses ne sont plus ce qu'elles étaient. Le raï, moteur de la joie de vivre d'El-Bahia, est en panne d'inspiration. Du coup, la saison estivale perd de sa superbe et Oran se laisse emporter par une apathie qu'on ne lui connaissait pas. Pourtant connue pour son dynamisme estival, la ville d'Oran n'a pas tenu toutes ses promesses, en cet été 2004. El-Bahia donnait l'impression d'avoir pris un sérieux coup de vieux. Le centre-ville, jadis singulièrement animé par les derniers tubes raï diffusés à tue-tête par les disquaires, a très facilement cédé à la torpeur des journées chaudes et très humides. Les passants ne semblaient prendre aucun plaisir à déambuler dans les artères d'El-Bahia. On ne voit d'ailleurs pas d'où ils pourraient tirer ce plaisir, tant les trottoirs sont défoncés par des travaux qu'effectuent des employés de l'APC. Un état de fait qui donne à la ville un air de petite bourgade plongée dans une poussière qui colle à la peau poisseuse par tant d'humidité. L'important toilettage dont elle a bénéficié, à la faveur de la visite du Président Chirac, est de l'histoire ancienne. Multiples agressions Les visiteurs, autant que les Oranais, doivent faire un grand effort de mémoire pour reconnaître la coquette ville qu'était Oran. La joie de vivre et la légendaire hospitalité des habitants de la cité semblent y avoir déserté un centre-ville qui, manifestement, a perdu son lustre d'antan. Les boulevards d'Arzew, Khemisti et Emir Abdelkader, rues commerçantes par excellence, s'éteignent à petit feu, assassinés par des milliers de passants qui, presque tous, ignorent les devantures des magasins et par une circulation automobile digne des grandes métropoles et qui donne forcément à Oran un air de ville polluée, surchargée et où il ne fait pas bon s'y promener. En termes de promenade justement, Oran ne conserve que son mythique front de mer qui reste quelque peu épargné par la dégénérescence qui touche toute la ville. Mais se promener n'est pas une mince affaire dans une ville où le taux d'agression est l'un des plus important du pays. Malik, fonctionnaire de son état, estime que la hausse de la délinquance est le facteur essentiel qui participe à la mort lente de la capitale de l'Ouest. «Je ne connais pas un Oranais qui n'ait pas été victime d'agression». Les agressions, tout le monde en parle à Oran. L'insécurité régnante au centre même de la ville est le sujet prédominant des Oranais. C'est d'ailleurs la préoccupation majeure des citoyens qui n'ont de cesse de pester contre ce qu'ils qualifient de «laxisme» des autorités dans ce domaine précisément. A part cette «plaie» qui dérange sérieusement, les habitants d'El-Bahia ne donnent pas l'impression de vivre dans la ville la plus attractive d'Algérie. Celle-ci, apathie ambiante oblige, ronronne toute la sainte journée pour ne se réveiller, que très timidement, au coucher du soleil, grâce aux grappes de familles qui s'attablent aux dizaines de crémeries que compte désormais la ville d'Oran. Activité apparemment très rentable, ces établissements ont poussé comme des cham- pignons dans les quatre coins de la ville, concurrençant par là même, les deux «crémeries jumelles» de la place Port Saïd qui furent l'une des principales attractions d'Oran durant les deux dernières décennies, en offrant une vue imprenable sur le port. Bien que les gérants des «jumelles» aient fait un effort d'investissement remarquable pour garder le haut du podium, la concurrence est tout de même rude avec l'arrivée sur «le marché de la crémerie» de nouveaux établissements flambant neufs et climatisés, ce qui donne une idée de la course aux clients que se livrent les patrons. Cela dit, cet effort dans la multiplication des lieux de détente n'a rien apporté à la ville, en termes de dynamisme estival qui faisait jadis la fierté des Oranais. En effet, une soirée à Oran se résume à de toutes petites balades avec la crainte permanente d'une agression pour se faire voler un portable. D'ailleurs c'est simple, à Oran, et surtout la nuit, les gens préfèrent mettre leurs mobiles sous vibreur et ne le sortent de leur poche qu'après s'être assurés de l'absence de délinquants dans les alentours. Les fameuses balades nocturne à El-Bahia ont beaucoup perdu de leur charme et l'on sent comme une certaine tristesse sur le visage des passants, visiblement frustrés de constater que les temps ont bel et bien changé. Même la parenthèse du festival du raï n'y a pas changé grand-chose. La manifestation artistique très médiatisée et impatiemment attendue par les citoyens n'a fait vibrer Oran que le temps des spectacles. A l'image de «Joséphine» Le lendemain, la ville retombe très vite dans son ronronnement quotidien. Les tubes de l'été que sont Joséphine et N'tya haba numérique n'ont pas trop emballé les jeunes. On les fredonne dans la rue, faute de mieux. Comme si le raï avait perdu de sa magie ou que les Oranais s'en désintéressaient. Le temps où Hasni, Nasrou, Fadéla et autres enflammaient les foules semble un vieux souvenir que certains trentenaires se remémorent avec beaucoup de nostalgie. Le raï a manifestement perdu de sa superbe au sens où l'on ne s'y identifie plus. Pour Mohamed Sehaba, intellectuel connu sur la place d'Oran, c'est bien du contraire qu'il s'agit. «Comme le raï tire son inspiration du vécu social, il influe aussi sur la société. Le comportement et le discours des jeunes sont souvent inspirés des chansons à succès. Les gens développent ce que j'appelle une ´´mentalité raï´´». Or, les dernières productions n'ont pour ainsi dire aucune profondeur. Une approximation qui, forcément, déteint sur la société. Celle-ci est nonchalante et sans but précis, comme le sont d'ailleurs les derniers tubes.» Une hypothèse qui explique sans doute en partie l'attraction en baisse de la destination estivale favorite des Algériens. Cela dit, il y a également lieu de souligner l'explosion urbanistique que connaît Oran depuis quelques années et qui est en passe, «de transformer les Oranais en Algérois», souligne Sid-Ali, avocat de son état. «La ville a pris de telles ramifications qu'il faut plus d'une heure en bus pour la traverser. Les gens ici sont pris par le temps presque comme à Alger. On se dépêche pour aller bosser, on fait de même pour rentrer à la maison...» En d'autres termes, le fléau du stress gagne la capitale de l'Ouest. L'une des conséquences immédiates de cette nouvelle donne est qu'Oran perd son cachet touristique et devient une ville comme une autre. En cet été caniculaire, Oran n'aura pas offert à ces visiteurs, venus des quatre coins du pays, son visage d'antan. Elle ne pouvait faire mieux; la joie de vivre dont faisaient montre ses habitants par le passé semble cette année inscrite aux abonnés absents.