De l?autre côté de la Méditerranée, on dit que «le temps, c?est de l?argent». Par ici il est plutôt d?usage de croire que chaque retard est annonce de bien. «Koul aâtla fiha khir.» Un homme d?affaires européen, appelons-le Michel, avait été invité par des partenaires algériens à Oran. Il était saisi d?une véritable frénésie à l?idée de conclure une éventuelle affaire. Une aubaine en or comme il ne s?en présente qu?une seule fois dans toute une vie. Il avait été ravi de l?accueil particulièrement chaleureux de ses hôtes algériens. Partout où il allait, ce n?étaient que repas de fête, joyeuses agapes et ripailles sans fin. Il était présenté à la famille et il n?a jamais été autant embrassé de sa vie. Mais il commençait à avoir quelques lourdeurs d?estomac, surtout qu?il devait à chaque fois faire semblant de déguster avec plaisir le couscous dont on le gavait à chaque repas, attendant avec un sourire béat qu?il finisse d?avaler toute l?assiette qu?on lui avait servie. Il aurait bien voulu qu?on arrête de faire la fête et que l?on passe aux affaires sérieuses. Il ne comprenait pas qu?on puisse ainsi mélanger les affaires et la vie privée, ni que l?on prenne ainsi tout son temps. Mais on lui tapotait gentiment l?épaule et on l?assurait que rien ne pressait. Que l?affaire était pratiquement conclue ! Que chaque retard est annoncé de bien ! «Koul aâtla fiha khir.» Il passa ainsi plusieurs jours à faire semblant d?être très heureux. Mais tous les plaisirs ont une fin et l?on se décida à entrer dans le vif du sujet. Sauf qu?à chaque fois, il n?était pas possible de conclure parce qu?un partenaire était absent. Les motifs laissaient songeur notre brave Michel. Untel se mariait, un autre enterrait son père, mariait sa fille, était convoqué par une administration ou recevait des invités. Michel n?en pouvait plus. Ses affaires l?appelaient ailleurs. Alors, la mort dans l?âme, il décida de tout laisser tomber et de rentrer chez lui. Ses partenaires algériens comprirent qu?ils allaient, eux aussi, rater l?affaire de leur vie. Alors, ils oublièrent la fête, le couscous et les funérailles. Ils se consacrèrent entièrement à la conclusion de l?affaire. Ils découvrirent alors que pour les fonctionnaires, les notaires, les banques, les douaniers, les restaurateurs, les hôteliers, les «taxieurs», les aviateurs, les marins, les transitaires et le reste des Algériens, le temps ne vaut pas un douro, mais que «koul aâtla fiha khir».