Résumé de la 2e partie n Dans l'église, Ropp est surpris de voir une jeune fille sur une civière. Est-elle blessée ou est-elle morte ? On lui donnerait bien cent ans. Mais ce vieux curé connaît quelques mots d'allemand : «Elle va mourir si on ne s'en occupe pas, lui dit le vieux curé. — Mais qui lui a fait ça ?» Le vieux curé, pendant une, deux ou trois secondes, car il y a dans la vie des instants qu'on ne peut mesurer, regarde Hermann Ropp. Sous ses sourcils grisâtres, dans le fouillis des rides, ses yeux le fixent avec étonnement : «Vous demandez qui lui a fait ça ?... Mais c'est vous.» Comme un écolier indigné par l'injustice d'un professeur, Hermann Ropp s'est redressé, prêt à nier. Mais il ne dit rien. Il a compris : évidemment que c'est lui. C'est bien lui qui a écrit hier : «Ma chère maman, mes bien chers tous. Soyez fiers. Demain nous montons en ligne. Je vais recevoir mon baptême du feu.» Seulement voilà, il ne s'attendait pas à ça. Depuis hier il n'a vu que des chars gronder sur la route ; ses camarades avancer en chantant les manches retroussées, des gens qui s'enfuyaient des maisons qui brûlaient ; les mitraillettes qui crépitaient ; des avions qui hurlaient ; des canons qui tonnaient. Pas un seul mort, un seul blessé... Et le premier sang qu'il voit couler c'est celui d'une jeune fille brune, au cœur d'une église. II ne s'attendait pas à ça. «Elle était sur la route, explique tout bas le vieux curé. Son bras est presque arraché. Elle a reçu un éclat au front. Je crains qu'elle ne soit devenue aveugle. Et il y a deux heures qu'elle est là. Elle a déjà perdu beaucoup de sang. Pas un docteur, aucune voiture dans le village. Il faut prévenir un de vos officiers.» Comme un petit garçon ému et que la soutane impressionne, Hermann répond : «Oui, monsieur. — Il faut qu'on la transporte dans un hôpital, sinon il va mourir. — Oui, monsieur. — Vous vous en occupez ? — Oui, monsieur. — Je compte sur vous ? — Oui, monsieur.» Après avoir reculé de trois pas, Hermann Ropp fait demi-tour, se glisse dans l'entrebâillement de la lourde porte et se retrouve sur les marches de l'église, en plein soleil. Elle est là, la belle Wehrmacht. Par petits groupes les soldats cassent la croûte gaiement, les conducteurs de chars – qui ont garé leurs engins à l'ombre des tilleuls, si près du tronc qu'ils en ont arraché l'écorce – inspectent les chenilles. Dans une sorte de command-car des officiers consultent la carte. Un radio, casque d'écoute aux oreilles, note les instructions de l'Etat-major. La belle Wehrmacht graisse ses rouages avant de reprendre la route. Hermann Ropp court chercher le major. Celui-ci, en officier consciencieux, apparemment humain, n'ignorant rien de ce qu'on doit aux civils sans défense, et à une jeune fille qui plus est, très respectueux des conventions de Genève, le suit en soufflant jusqu'à l'église. Le jeune soldat, pressé, lui répète plusieurs fois : «Vite ! Sinon elle va mourir.» Une piqûre, un garrot, l'hémorragie est arrêtée. Hermann Ropp court partout : il est en même temps aux quatre coins du village et se démène tant et si bien qu'on hisse la civière de la jeune fille dans une ambulance qui l'emmène vers l'hôpital de Béthune. Empilés, le père, la mère et les deux gamins se sont serrés contre elle. Le père tient sa main valide. La mère sanglote. Hermann Ropp ne les a pas quittés. (A suivre...)