Résumé de la 1re partie n Inquiets, les prisonniers se demandent ce que va faire d'eux le cabecilla... Leurs uniformes remplis de foin, leurs buffleteries en désordre, remontées dans la fuite, dans le sommeil, la poussière qui les couvrait entièrement du pompon de leurs casquettes à la pointe de leurs souliers jaunes, tout contribuait bien à leur donner cette physionomie sinistre des vaincus où le découragement moral se trahit par l'accablement physique. Le cabecilla les regarda un instant avec un petit rire de triomphe. Il n'était pas fâché de voir les soldats de la République, humbles, blafards, déguenillés, au milieu des carlistes bien repus, bien équipés, des montagnards navarrais et basques, bruns et secs comme des caroubes... «Viva Dios ! mes enfants, leur dit-il d'un air bonhomme, la République nourrit bien mal ses défenseurs. Vous voilà tous aussi maigres que les loups des Pyrénées quand les montagnes sont couvertes de neige et qu'ils viennent dans la plaine flairer l'odeur de la carne aux lumières qui luisent sous les portes des maisons... On est autrement traité au service de la bonne cause. Voulez-vous en essayer, hermanos ? Jetez ces infâmes casquettes et coiffez-vous du béret blanc... Aussi vrai que c'est aujourd'hui le saint jour de Pâques, ceux qui crieront «Vive le roi !» je leur donne la vie sauve et les vivres de campagnes comme à mes autres soldats». Avant que le bon père eût fini, toutes les casquettes étaient en l'air, et les cris de «vive le roi Carlos ! - vive le cabecilla !» retentissaient dans la montagne. Pauvres diables ! Ils avaient eu si grand'peur de mourir ; et c'était si tentant toutes ces bonnes viandes qu'ils sentaient là près d'eux, en train de griller à l'abri des roches, devant des feux de bivouac roses et légers dans la grande lumière ! Je crois que jamais le prétendant ne fut acclamé de si bon cœur. «Qu'on leur donne vite à manger, dit le curé en riant. Quand les loups crient de cette force, c'est qu'ils ont les dents longues». Les carabiniers s'éloignèrent. Mais un d'entre eux, le plus jeune, resta debout devant le chef, dans une attitude fière et résolue qui contrastait avec ses traits d'enfant et le duvet fin, à peine coloré, enveloppant ses joues d'une poudre blonde. Sa capote trop grande lui faisait des plis dans le dos, sur les bras, se relevait aux manches sur deux poignets grêles, et par son ampleur l'amincissait, le rajeunissait encore. Il y avait de la fièvre dans ses longs yeux brillants, des yeux d'Arabe avivés de flamme espagnole. Et cette flamme fixe gênait le cabecilla. — Qu'est-ce que tu veux ? lui demanda-t-il. A suivre Alphonse Daudet