Lorsque le commissaire pointe son grand nez à la mairie de Hochst dans le Voralberg en Autriche, il vient chercher une explication à l'affaire la plus extraordinaire qu'il ait connue au cours de sa longue carrière, et absolument unique dans les annales des polices du monde entier. Le bureau de la mairie, qui a été mis à la disposition du commissaire par le maire de Hochst, sent la peinture chaude, car on vient d'y installer le chauffage central. Le commissaire frotte ses joues barbues, abaisse son grand nez sur un dossier qu'il ouvre et demande au planton de faire entrer le gendarme Wilhem. Le gendarme en question sait exactement ce qui l'attend. Et il prend tout de suite l'affaire de très haut. C'est-à-dire qu'il relève la tête, se dresse sur ses petites jambes car il est haut comme trois pommes, puis déclare : «Monsieur le commissaire, je ne sais pas pourquoi on fait cette enquête. Tout était dans le rapport. Je vous dis tout de suite qu'en mon âme et conscience nous n'avons rien à nous reprocher. C'est un affreux concours de circonstances ! — C'est possible, gendarme Wilhem, mais à la suite de cette terrifiante histoire, le ministre de l'Intérieur a été durement attaqué. C'est à sa demande que je suis ici. Alors pour commencer, asseyez-vous, et racontez-moi exactement ce qui s'est passé.» Les pieds du gendarme quittent presque le sol quand il s'assoit sur le siège indiqué. «Eh bien voilà... dit-il, comme s'il faisait un rapport : le 1er avril 1979, vers onze heures du matin, nous avons été appelés, mon collègue Solenz et moi-même, pour un accident d'automobile sur la route de Hochst à Bregenz. Nous avons trouvé là une Volkswagen en travers de la route et une Skoda dans le fossé. Il y avait un blessé dans la Skoda. Et un autre passager qui était en train de se battre avec l'un des occupants de la Volkswagen. D'après les déclarations des différents témoins, la Volkswagen était responsable de l'accident ; nous avons alors relevé l'identité des passagers de la Volkswagen le dénommé Peter Studer, dix-huit ans, et Stephan Rude, vingt et un ans. — Lequel des deux conduisait ? — Sur le moment, j'ai eu l'impression que c'était le plus jeune : Peter Studer. Je n'en sais pas plus, car à ce moment, nous étions appelés par un accident beaucoup plus grave qui venait de se produire à la sortie de la ville. J'ai donc appelé l'inspecteur Schultz pour qu'il mène l'enquête et puis la gendarmerie de Bregenz pour qu'elle vienne à la rescousse. Puis je suis parti en laissant mon collègue pour les attendre. — C'est tout ? — C'est tout, monsieur le commissaire. — Merci, gendarme Wilhem. Vous pouvez disposer.» Le gendarme se retire avec empressement. Là-dessus, le commissaire tourne une page du dossier et appelle : «Faites entrer le gendarme Solenz.» Fort comme un Turc, des yeux d'épagneul breton, tristes à pleurer sous un crâne minuscule, tel est le gendarme Solenz. Il ne s'est pas remis du drame épouvantable dont il est peut-être l'un des responsables et ne s'en remettra sans doute jamais. Il confirme d'abord point par point le récit de son collègue. «Et lorsqu'il est parti, qu'avez-vous fait ? demande le commissaire. — Je n'ai rien fait, monsieur le commissaire. Enfin, je veux dire que, puisque l'inspecteur Schultz était là pour mener l'enquête, je me suis surtout occupé d'aider à sortir le blessé de la Skoda pour qu'on le mette dans l'ambulance. Et puis quand nos collègues de Bregenz sont arrivés, je leur ai demandé de conduire le coupable à Hochst. — Et, selon vous, qui était le coupable ? Peter Studer ? — Non... J'ai eu l'impression que c'était l'autre. — C'est tout ? — C'est tout, monsieur le commissaire. — Merci, gendarme Solenz. Vous pouvez disposer.» (A suivre...)