Proclamation L?annonce répétée de la neutralité de l?armée a introduit une nouvelle donne dans le jeu électoral du pays. Il paraît que juste avant les élections avortées de décembre 1991, l?institution militaire aurait tenté une expérience des plus significatives de l?état de l?opinion publique de l?époque. Elle aurait remis à des soldats d?une unité de l?ANP des enveloppes qui contenaient des cartes de vote et leur aurait demandé de voter en toute liberté et en toute confidentialité pour le parti politique de leur choix. Ces derniers ont cru que c?était pour de vrai et se sont exécutés. Néanmoins, au moment du dépouillement du scrutin fictif, la surprise des initiateurs de cette expérience aurait été totale. Les soldats, à une écrasante majorité, auraient voté pour les candidats de l?ex-FIS dissous. Jusqu?à aujourd?hui, on ne sait pas si cette affaire est vraie ou si elle relève simplement de l?anecdote. Toujours est-il qu?à la faveur de la présidentielle et sur la base de la proclamation, maintes fois répétées par la grande muette, de sa «neutralité» par rapport aux différents prétendants au poste de président de la République, les observateurs de la scène politique nationale s?interrogent sur le fait de savoir si cette prise de position sera un simple test ou une effective option politique irréversible. En fait, depuis le vote sans accroc par l?APN des amendements à la loi électorale (voir encadré) qui a supprimé les bureaux de vote spéciaux concernant le vote des membres de l?ANP et des corps de sécurité qui exerceront, désormais, leur droit de vote directement ou par voie de procuration, les velléités d?impartialité de l?armée dans le prochain scrutin se sont faites persistantes. Elles ont été accompagnées de surcroît d?indices et de signaux pour ne pas dire de gestes et d?actions dans cette direction. Ainsi, on a évoqué, il y a quelques semaines, l?existence au niveau de l?état-major de l?armée d?une «cellule de suivi» des élections. Celle-ci «n?aurait ni le pouvoir de décider ni celui d?influer sur le cours des choses, dans le sens d?orienter le vote du personnel militaire, mais uniquement le rôle d?observer et de rapporter toutes les entorses qui pourraient être établies lors du scrutin». Comme on a parlé de l?existence d?une circulaire interne que le général Mohamed Lamari aurait transmise aux diverses structures de l?armée leur demandant l?ouverture d?une enquête sur les agents de l?administration impliqués dans des man?uvres frauduleuses et sur les irrégularités observées dans la conduite des opérations de préparation du scrutin présidentiel du 8 avril. Une initiative qui viserait, selon ses promoteurs, à juguler le phénomène de la fraude et en même temps à identifier ses auteurs plus particulièrement au niveau local. Plus officiellement, ces actes rejoignent et confirment les déclarations du chef d?état-major réitérées par deux fois et selon lesquelles l?institution militaire «est en dehors des compétitions électorales, n?a pas de candidat et n?est contre aucun des candidats». Allant encore plus loin dans cette voie de neutralité totale de son institution, Mohamed Lamari a même averti que «l?Administration, la justice et les autres institutions n?ont absolument pas vocation, ni individuellement ni collectivement», à prendre position dans cette consultation. Comment toutes ces professions de foi vont-elles se traduire dans les faits le jour du scrutin et, surtout, quel impact auront-elles sur les électeurs et sur la crédibilité de la consultation ? Opération de laboratoire ayant pour objectif de tester la situation politique du pays pour les uns, véritable option pour la démocratie pour les autres, le positionnement de l?armée va au fond des débats relatifs à l?avenir immédiat du système politique algérien. Cela d?autant que dans tous les cas de figure qui peuvent se présenter, la hiérarchie de l?armée a «étudié tous les scénarios» envisageables (dixit le général Lamari le 14 janvier dernier). C?est ce qui s?appelle en jargon militaire «assurer ses arrières».