Résumé de la 3e partie Cela fait deux jours et trois nuits que Kiell est enfoncé, la cheville droite tordue, dans la neige. Il s?est nourri des perdrix qu?il avait chassées. Il est maintenant à l?aube du quatrième jour. Et il songe sérieusement à remanger? ce qu?il a restitué. Très lucidement d?ailleurs. Il est animé d?une sorte de rage de survivre, qui doit être celle du reptile. Kiell est un garçon de vingt-deux ans, pas très musclé, pas très grand, mais c?est un fils de paysan et de chasseur. Il a l?instinct animal. Il est en fureur froide, il se répète ce mot, qui lui paraît symboliser sa situation. Il s?y accroche comme à une incantation. «Je suis en fureur froide ! La fureur, c?est mon sang qui reste à 37° ! Le froid c?est la neige à zéro degré ! Et je serai en fureur froide jusqu?à ce que je crève ! Car je ne veux pas mourir comme un homme qui finit abandonné ! Je veux mourir comme une bête ! Je ne serai pas plus minable qu?une perdrix blanche !» Le grand-père de Kiell, un vieux chasseur, lui a appris à saisir, à comprendre et à respecter cette obstination à vivre des animaux du grand Nord, et aussi à s?en inspirer. En lui donnant son premier fusil pour ses quatorze ans, il lui a dit : «Si tu n?es pas capable de mourir comme une perdrix blanche en cherchant à t?en tirer jusqu?au bout, tu ne mérites pas de la tuer. Rappelle-toi ça, petit ! Une bête, c?est plus noble qu?un homme. Un homme, ça meurt en ayant peur ! Tandis qu?une bête, ça cesse de vivre ! C?est pas pareil ! Et même une perdrix blanche, tu lui coupes le cou, elle se débat encore. Essaie d?en faire autant.» Kiell n?a jamais mieux compris son grand-père que maintenant, dans son cercueil de neige. «C?est ce que je vais faire, se dit-il, je vais cesser de vivre. Mais d?abord, je vais encore me débattre. Et comme j?ai une tête, je vais m?en servir. Dégager mes jambes, je ne pourrai pas. ça fait combien ? Au moins quatre jours que j?essaie. Il faut que je trouve autre chose : mais quoi ? D?abord je vais sucer, une par une, la tige des plumes des perdrix. Il doit y avoir un peu de la graisse de la peau après. Si ça me fait tenir un quart d?heure de plus, ce sera toujours ça. Et pour boire, j?ai toujours la neige, réchauffée dans ma bouche. Maintenant voyons : mes cartouches, qu?est-ce que je peux en faire ? Enlever la poudre. L?enflammer ? Pour quoi faire ? J?ai un morceau de bougie. Je ne vais pas l?allumer non plus. ça servirait à quoi ? La neige fondra dessus et l?éteindra. D?ailleurs, mes allumettes sont humides. Je ne devrais pas les laisser dans ma poche. On ne sait jamais, tout à l?heure, elles me donneront peut-être une idée? Mais les mettre où, pour qu?elles sèchent ? J?ai trouvé.» Et il s?introduit les allumettes dans les oreilles, pour qu?elles restent au chaud et au sec ! Puis il finit son inventaire : «Du fil et une aiguille? Un morceau de papier. Je me souviens, c?est la facture du restaurant : des spaghettis au lard. Une facture sur du papier à en-tête rouge. Qu?est-ce que peux en faire ? Qu?est-ce que ça me donne comme idée ? Rien. Ils doivent me chercher encore, même s?ils me croient mort. A leur place, je chercherai encore. Mais j?ai au moins un mètre de neige sur le dos. Ils ont déjà dû passer loin en haut de la crête. Tiens, qu?est-ce que je sens ? On dirait une branche : de l?osier ou du saule. J?ai compris. J?ai compris. C?est le haut d?un buisson d?osier. La neige a fondu sous moi, j?arrive maintenant près du sol et je touche une branche !» (à suivre...)