Chiffres - 60% des femmes victimes de violences vivent dans les villes, contre 37% dans les zones rurales. Ce sont les statistiques qu'a tenu à rappeler Badra Moutassem, psychologue à l'université d'Oran, lors de son exposé sur la problématique sociologique de la violence à l'égard des femmes, jeudi dernier. Ce sont les résultats d'une enquête menée auprès de 240 ménages par le Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle (Crasc) en 2006. La violence conjugale arrive en première position, selon cette chercheuse associée au Crasc, qui intervenait à l'occasion de la Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes, organisée par l'Assemblée populaire. Plus explicite, Mme Moutassem dira que l'âge de la victime, qui ne dépasse généralement pas la trentaine, le célibat, le chômage, le niveau de scolarité et la promiscuité figurent parmi les facteurs déclencheurs de cette violence. «Les veuves et les divorcées sont les cibles de prédilection des agresseurs, notamment dans les espaces publics», selon l'intervenante, révélant que seulement 15% des femmes ayant été victimes de violences conjugales osent parler, et moins d'un tiers des violences commises dans l'espace professionnel sont divulguées. La nécessité d'entreprendre des études concernant ce «problème politique qui concerne le droit des citoyens», a, par ailleurs, été longuement traitée par Dalila Djerbal, sociologue et membre du réseau Wassila. Celle-ci a tenu à mettre en relief en premier lieu les conséquences dramatiques de ce fléau, aussi bien sur les femmes que sur leurs enfants. «Le coût social est très élevé», dit-elle. Elle citera à ce propos, en particulier, la destruction de la famille et la délinquance comme «seul moyen de se venger d'une société qui ne les a pas protégés», explique la sociologue. «Les chiffres sont bien en dessous de la réalité», rappelle-t-elle, déplorant le fait que des femmes continuent à mourir sous les coups, alors que d'autres résistent pour préserver leurs enfants. Elle citera dans le sillage de sa plaidoirie une liste d'environ une vingtaine de femmes ayant succombé aux coups et blessures de leur conjoint au cours de l'année 2011. «Un nombre infime tente de saisir la justice», a indiqué Dalila Djerbal, avant d'expliquer un peu plus loin que la violence sert en fait «à rappeler à la femme la place qu'elle occupe et qu'elle ne devrait pas quitter». La violence justifie aussi «l'ordre moral» qui règne dans la société, selon la sociologue. La violence tend aujourd'hui à se diversifier pour prendre d'autres formes, dont la violence économique, l'atteinte au droit d'autonomie, l'inceste et le harcèlement sexuel. Il faut dire que cette dernière forme de violence continue de sévir bien que la loi existe. La raison évoquée par la sociologue tient au fait que «les témoins ne sont pas protégés». Les agresseurs, quant à eux, sont loin d'être des «malades», affirme l'intervenante. Ce sont «des médecins, des gendarmes, des officiers, des commerçants, des ouvriers, des avocats, des enseignants», soit toutes les catégories confondues. Les victimes, de leur côté, représenteraient toutes les classes sociales sans exception. Du point de vue législatif, Mme Djerbal affirme sans complaisance que «l'égalité décrite dans la Constitution se résume en réalité à des textes totalement formels. Les femmes savent qu'elles se casseront le nez face à une justice qui rejette la responsabilité sur la victime», dit-elle. Elle recommande à cet effet la mise en place «de mécanismes concrets et accessibles aux victimes, à ce que le magistrat pénal soit le même que celui du civil, ainsi que la levée des réserves sur les textes ratifiés par l'Algérie mais jamais utilisés». Elle n'hésite pas enfin à tirer à boulets rouges sur l'amnistie nationale qui a gracié les sanguinaires et ceux qui ont torturé et violé les femmes. «L'amnistie est une tache noire dans l'histoire de l'Algérie», a-t-elle souligné.