Nous sommes, semble-t-il, le pays où l'on lit de moins en moins. d'après un sondage, nous venons loin derrière l'Egypte, la Tunisie et le Maroc. Même si le paysage éditorial s'est enrichi ces dernières années de plusieurs ouvrages, leur prix jugé trop élevé n'explique pas, à lui seul, cette désaffection de la lecture. C'est surtout une culture que de prendre un livre dans un transport public comme il est d'usage dans beaucoup de pays d'Europe. Dans nos bus, c'est à peine si quelques passagers décryptent les journaux sportifs et très accessoirement un quotidien d'informations générales. Pourtant ! sans vouloir s'étaler sur les bienfaits de la lecture, il convient d'en dresser aujourd'hui un constat empreint de nostalgies quand en ces années lointaines, les enfants que nous étions, passions des siestes à déchiffrer les aventures de nos héros de l'époque. Des héros qui véhiculaient l'idée d'une Amérique, terre de liberté, en guerre contre d'affreux peaux-rouges que venait toujours décimer la cavalerie. On se faisait notre cinéma avec Garry Cooper, Hercule, Mangala fille des Indes, Laurel et Hardy et l'inénarrable Charlot. Et puis disparurent des étals des marchands de journaux toute notre littérature que des éditeurs locaux tentèrent désespérément de remplacer par des héros prétendument du terroir mais si mal dessinés et aux histoires si décousues que l'on s'en détourna. Heureusement que nous avons grandi depuis et que l'on continue à cultiver cette magie de la lecture par des polars – oh la la ! Que d'histoires splendides nous vécûmes, baladés par James Hadley Chase, Raymond Chandler, et San Antonio que nous dévorions à l'ombre d'une glace et au son d'un bourdonnement continu des essaims de mouches squattant la canicule. La grande littérature de Tolstoï, Hugo, Balzac, Steinbeck, c'était un pensum que nous imposaient nos profs de lettres. Et puis vint la période de disette littéraire durant laquelle quelques éminents écrivains firent de la résistance : nous avons tous, ces années-là, découvert Le fleuve détourné de Rachid Mimouni, Les chercheurs d'os de Tahar Djaout, Vent du Sud d'Abdelhamid Benhadouga et le fabuleux Escargot entêté de Rachid Boudjedra, un multirécidiviste en la matière. Les années 1990 furent prolifiques et devant le foisonnement de titres, il est vrai la plupart dictés par la situation tragique du pays, la critique d'outre-mer, comme pour dénier le talent et la stature des nouveaux romanciers algériens, parle de «littérature de l'urgence» pour étiqueter des prodiges comme Yasmina Khadra, Anouar Benmalek, Boualem Sansal, Maïssa Bey, Salim Bachi… comme si le talent n'avait élu ses quartiers que sur les grands boulevards parisiens. Ces auteurs se vendent bien. Ici et là-bas. Sauf que leur lectorat se recrute parmi les quadragénaires et plus, ceux-là qui continuent à entretenir le butin de guerre. Les nouvelles générations lisent les exploits d'une équipe de football, s'écrivent des SMS et ont créé leur propre communication : on ne s'appelle plus, on se bipe. On zappe et on flippe… Enfin, de quoi je me mêle ? Khelli l'bir beghtah.