Il y a quelque temps, nous regardions, médusés, la télévision nous transmettre les images d'un lycéen, amoureux éconduit, faire irruption dans une salle de classe armé d'une mitrailleuse et tirer dans le tas. A l'époque, nous en étions, dans les cours de récréation, à quelques échauffourées, tout au plus quelques coups de poing sans grande gravité et, en notre for intérieur, nous remercions la destinée de nous avoir épargné ces assauts tragiques dans nos lycées. Peu à peu, la réalité nous ramena sur terre et nous nous mîmes à découvrir que chez nous aussi on jouait du couteau à l'âge où l'on tape innocemment sur un ballon. On nous dit triomphalement que la violence entre élèves a baissé, tout en déplorant au passage que la violence envers les enseignants a augmenté. Le plus grave, et c'est le propre de toute statistique, c'est d'enfermer un phénomène social d'une extrême gravité dans des chiffres, des courbes, comme s'il s'agissait d'une production céréalière, en omettant de souligner que la jeunesse, c'est du blé en herbe soumis à tous les aléas climatiques et tous les séismes sociaux. Cette brusque montée de la violence en milieu scolaire n'est pas étrangère aux fruits amers récoltés de la décennie tragique que le pays a traversée : la mort, en ces années-là, est devenue tellement banale, coutumière, qu'elle s'inscrivaitt dans le quotidien de nos enfants au même titre qu'un délit usuel sans grande importance. L'école n'est pas une société à part, mais elle se meut dans un environnement où l'on assassine froidement un chauffeur de taxi pour une poignée de dinars, où l'on poignarde un passant pour un téléphone portable, où l'on viole un domicile en prenant soin de trucider l'habitant… Ajouter à cela la consommation presque généralisée de la drogue en milieu scolaire, voilà de quoi obtenir le contexte explosif tout à fait propice à une violence qui a surclassé, en intensité, et de loin, les petites bagarres à la sortie des établissements scolaires. L'écolier qui ne connaît rien de la métamorphose des cloportes, la transformation des chrysalides, la germination des fleurs et toutes ces choses qui font la vie, est aussi pris en otage par beaucoup de sombres tribuns déguisés en pédagogues, plus prompts à enseigner la mort qu'à apprendre la vie à des enfants dont la préoccupation majeure est de jouer aux billes et de taper sur un ballon. Mille putois puants ! Qu'est devenue cette initiative baptisée «Ecoles, amies des enfants» dont la cour de récréation est susceptible de se substituer à la rue où le desperado fait la loi ? La salle de classe resterait-elle indéfiniment comme un long hiver où les psychotropes, le cannabis et le couteau ont remplacé ces innocentes boulettes qu'on balançait dès que le maître à le dos tourné ? Ne tournons pas le dos à cette amère réalité où des mômes hauts comme trois pommes ont appris à jouer du coutelas comme on jouait jadis aux fléchettes. Enfin, de quoi je me mêle ? Khelli l'bir beghtah.