Résumé de la 1re partie n Pour Esther, les promenades dans Paris sont toujours une aventure. Elle se risque même dans les cimetières... Au Père-Lachaise, une tombe attire son attention : un buste de bronze représente un homme d'un certain âge, moustachu, du siècle dernier. Elle lit le nom qui lui est inconnu : Allan Kardec. Le buste, protégé par une sorte de monument un peu préhistorique, est couvert de fleurs. Pourtant ce M. Kardec est mort depuis soixante-dix ans. Comment se fait-il qu'on fleurisse encore sa tombe avec tant d'assiduité ? Une femme justement s'approche avec un bouquet de fleurs à la main. Des fleurs qu'on croirait cueillies dans les champs. Des petites fleurs toutes simples : marguerites, coquelicots, bleuets. Elle dépose le bouquet sur la tombe. Esther la voit ensuite qui applique sa main sur le buste. Les yeux fermés, la femme se perd dans une prière muette. Au moment où elle s'éloigne, Esther l'aborde : — Excusez-moi, madame, qui est l'homme qui est enterré là ? Vous semblez avoir une dévotion particulière pour lui ? La femme ne se fait pas prier pour expliquer : — C'est Allan Kardec, un Lyonnais qui a fondé le spiritisme. Un homme de bien très charitable. Une sorte de saint que l'Eglise catholique ne reconnaît pas, mais qui est un puissant protecteur pour tous ceux qui demandent son aide. C'est pourquoi depuis sa mort sa tombe est continuellement fleurie et couverte de témoignages de reconnaissance... Esther murmure, comme pour s'excuser : — Je suis juive. — Et alors, qu'est-ce que ça peut faire ? Allan Kardec intervient pour tous ceux qui font appel à lui. Apportez-lui quelques fleurs et demandez-lui ce que vous voulez. — Vous croyez ? Esther quitte la dame après l'avoir remerciée pour ces précisions intéressantes. Elle regagne son hôtel toute songeuse. Un catholique lyonnais. Si loin du ghetto de Varsovie. Mais après tout la prière ne monte-t-elle pas vers Dieu pour les uns comme pour les autres ? Désormais, Esther prend l'habitude de fréquenter les cimetières, celui du Père-Lachaise en particulier. Elle a toujours avec elle son violon, et, quand elle se sent bien seule, elle sort l'instrument de son étui. Et elle joue, pour elle, pour les morts, pour Kardec aussi, pour les vivants, de France, de Pologne et d'ailleurs. Elle perd la conscience des choses. Parfois quelques personnes s'arrêtent pour écouter les sanglots de l'instrument. On n'applaudit pas quand elle cesse de jouer. Ça ne se fait pas dans un cimetière. — C'est merveilleux, madame, c'est quoi ? — Des airs traditionnels juifs. — Mais vous êtes dans un cimetière catholique ! — La musique est toujours la musique, vous ne croyez pas ? Un autre jour, c'est le gardien du cimetière qui l'apostrophe. Oh ! sans méchanceté. — Chère madame, vous jouez merveilleusement bien du violon, mais je ne suis pas certain que le règlement du cimetière autorise les concerts. Vous comprenez, ça peut déplaire aux familles. En tout cas, je vous demande de vous abstenir si une inhumation a lieu à proximité. Esther promet de faire attention. Un lundi alors qu'elle arrive au Père-Lachaise, son étui à violon au bout du bras, le soleil est radieux. A suivre Pierre Bellemare