Là, dit Charnay. Dans ce fourré ! Vous voyez comme ça remue ? A dix pas, le buisson bouge en effet. Un oiseau s'envole, mais avant que Marc ait pu le distinguer, Charnay tire. Le coup de fusil résonne dans les bois. L'oiseau est atteint de plein fouet et tombe lourdement dans les feuilles mortes. — Touché ! crie Charnay. Il a son compte. Rapporte, Thoutmès. Rapporte, mon beau ! Le chien dévale le talus. C'est un braque hongrois au pelage souple et satiné. Il se précipite vers Charnay, son butin dans la gueule : encore un coq de bruyère. Le chasseur ne cache pas son contentement . — Bon chien, glousse-t-il en le caressant. En voilà, un bon chien ! Le gros homme se redresse et tend le faisan à Marc. — Tenez, dit-il, mettez donc ça dans votre gibecière. Moi, j'en ai déjà deux. Et, tandis que le jeune homme le remercie, il ajoute avec mépris : — Vous voyez comment on chasse, Marc. Ce n'est pas plus compliqué que ça. Vous verrez, vous y arriverez, un jour. En ce 12 octobre 1967, Marc, vingt ans, est à la chasse pour la première fois de sa vie. On ne peut pas dire qu'il en éprouve une grande joie. En fait, il est venu pour faire plaisir à M. Charnay qui est le père de sa fiancée. — Vous voyez ce chien, dit Charnay en admirant Thoutmès d'un œil complice, c'est le plus extraordinaire que j'aie jamais eu ! Et il conclut : — Vous verrez, Marc. Un bon chien, ça vaut tous les amis du monde. Précédant les deux hommes, Thoutmès arpente le terrain, renifle les buissons, s'engouffre dans les ronciers. Soudain, il bondit derrière une haie. Charnay referme son fusil et se tient prêt. Marc laisse le sien cassé ; il aimerait bien tenter sa chance mais Charnay ne lui donnera jamais une si belle occasion, — Regardez, dit la voix rauque en baissant le ton. Vous voyez comme ça remue ? Vous allez voir ce que vous allez voir ! Cette fois, Charnay doit tirer ses deux cartouches. Personne n'est parfait. — Touché ! crie-t-il. Et de quatre ! Une poule, cette fois, vous l'avez vue ? En fait Marc n'a rien eu le temps de voir. Thoutmès rapporte la proie à son maître. — Un conseil au passage, dit Charnay. Ne tirez jamais sur un gibier avant que le chien ne l'ait débusqué – enfin je veux dire : quand vous chasserez pour de bon... Et comme Charnay aime les brimades : — Tenez, rendez-moi donc mon coq, je vous laisse la poule en échange. A présent, Marc regrette clairement d'avoir abandonné le groupe des chasseurs pour suivre son futur beau-père. D'ailleurs Charnay ne lui a rien demandé ; la compagnie de Thoutmès lui suffirait amplement. — Je devrais peut-être essayer de voir où en sont les autres, propose le jeune homme d'un ton badin. Le gros homme ne répond même pas ; il ne s'intéresse qu'à son chien : — Cherche, Thoutmès, cherche, mon beau ! On entend plusieurs coups de feu au loin, et Marc décide de rejoindre le groupe. Tout en cheminant à travers bois, il rêve de revanches. A suivre Pierre Bellemare