Lorsqu?enfin, les jeunes gens sortirent de l?eau, je remarquais que le prince noir avait sans cesse la main posée sur son ?il droit qu?il avait sûrement crevé. Je vis ensuite le prince-Lachegar s?asseoir, ouvrir un coffre plein de bijoux et se mettre alors à se lamenter : «Pleurez joyaux de ma belle pleurez avec moi ! Pleurez ma princesse malade qui est loin de moi !». Du coffret s?échappèrent d?abord de gros soupirs et bientôt de gros sanglots. Pour répondre à ces lamentations, le Prince-Lasmar à son tour se mit à gémir : «Pleure mon c?ur l??il qui ne verra plus la lumière, Pleure mon c?ur ta douleur, mais reste fier, Pleure ma main avec moi et, un jour venge-toi !». Le prince-Lachegar irrité répliqua vivement : «Avant, il te faudrait d?abord passer sur mon corps !» Prince-Lachegar continua à geindre plus fort : «Pleure mon c?ur le frère que tu perds !» Bientôt les deux jeunes gens se mirent à se quereller, et je choisis cet instant pour me sauver du palais, conclut le lavandière. La princesse, de bonne heure, le lendemain se rendit à l?endroit indiqué par la laveuse. Elle n?eut pas à attendre longtemps, un dromadaire arriva chargé de plusieurs ballots de vêtements, et tout se passa comme la veille. Quand le dromadaire s?en retourna à pas lents, la princesse le suivit discrètement ; elle arriva même, après lui, à se faufiler sans bruit à l?intérieur du palais. Mais lorsqu?elle entendit le jeune homme dire : «Pleurez joyaux de ma belle pleurez avec moi ! Pleurez ma princesse malade qui est loin de moi !». Par curiosité, Jasmin s?approcha pour voir ses bijoux pleurer. Mais au moment où le prince-Lachegar ouvrit le coffret, les bijoux éclatèrent d?un rire perçant ; ces éclats de joie firent sursauter le prince qui leva les yeux et aperçut alors l?objet de ses v?ux. Jasmin vola dans les bras de son prince charmant. Plus joyeux que des enfants, plus riches en rêves que des soupirants, plus comblés que des amants, Jasmin et son prince charmant, lovés dans leur passion, laissèrent s?enfuir leurs jours et leurs nuits. Mais ce bonheur insolent éveilla la jalousie du prince noir et raviva en lui une vieille haine : il ne pouvait pardonner à la princesse la flèche qui lui fit perdre, un jour, son ?il. Un matin, le prince noir dit à son frère : «Hier, j?ai vu le vieux roi, père de Jasmin. il était étendu au seuil de la mort et demandait à revoir sa fille !» Sans un, mot, le prince Lachegar se leva, monta sur son dromadaire et avant de s?en aller, confia à son frère gravement : «Dis à ma princesse toute ma tendresse, explique-lui surtout que je ne reviendrais et n?aurais de cesse que lorsque le roi, son père, m?aura accordé son pardon !» Quand plus tard, Jasmin se réveilla, elle fut surprise de ne point trouver à son chevet, comme à l?accoutumée, le dauphin. Le prince d?ébène et au noir dessein dit à Jasmin : «Mon frère, hier, m?a révélé qu?il s?était lassé de toi ; ce matin, après être monté sur le dromadaire, il m?a aussi confié qu?il partait rejoindre pour toujours sa noble épouse !» Devant l?air effaré de la pauvre princesse, le prince-Lasmar, dégustant sa revanche, planta un dernier pal en ajoutant : «Vous ignoriez, vraiment, princesse, que mon frère avait femme et enfants ?» Bouleversée, la jeune femme sortit du palais et ses pas chancelants la menèrent dans le verger. Le dromadaire d?habitude venait y paître l?herbe fine aux pieds des arbres fruitiers. Jasmin remarqua que le méhari avait effectivement disparu ; alors, aussitôt la vie lui parut un pesant fardeau. (à suivre...)