Parcours - Bali chantait les maux de la société, accompagné de son luth que lui avait offert son maître Lasmar Abderrahmane. C'est une tradition annuelle chargée d'émotions et de reconnaissance pour cet homme qui a difficilement imposé la musique et le chant touareg au niveau local et à l'échelle nationale, voire mondiale. En effet, une grande fête, digne de ce grand artiste, a eu lieu du 14 au 17 juin dernier, à Djanet selon son fils Samir Philippon Bali, le directeur de la maison de culture Othmani-Bali d'Illizi, initiatrice de cette manifestation depuis 2009. Samir a tenu à corriger le nom de son père «Othmani Moubarek», dit Bali, au lieu de Othmane. Le surnom de «Bali», selon son fils, lui a été donné par des enfants dès son jeune âge. «Des enfants disaient par respect : ‘'Yoyssade Bali'' (Bali est venu). Bali n'a pas un sens défini. Les Touareg sont connus par des surnoms qu'ils donnent par rapport aux lieux où se trouve la personne ou la chose», nous a-t-il expliqué. Un riche programme a été concocté pour cet hommage avec la participation des élèves de Bali et les autochtones de la ville de Djanet qui compte près de 100 associations folkloriques dont certaines ont fait des représentations folkloriques targuies, locales durant ces quatre jours en hommage à Bali, couronnés par une grande «ouaada» et des témoignages de compagnons et de sa famille, des conférences, des expositions et la projection d'un film documentaire. Bali chantait les maux de la société avec son luth que son maître, Lasmar Abderrahmane – que notre interlocuteur salue et auquel il rend hommage – lui avait offert. «Au début des années 60, Bali a commencé son parcours d'artiste comme percussionniste. Grâce à son maître Lasmar Abderrahmane – qui devait obéir aux ordres de son père qui lui défendait de continuer dans la musique – Bali s'est mis au luth dans les années 70. Lasmar Abderrahmane lui conseille de créer un répertoire propre aux Touareg, car le style marocain était en force dans l'extrême Sud, notamment à Djanet», nous apprend Samir. Ainsi donc, Bali devient le pionnier dans l'intégration du luth ('oud) dans la chanson targuie qui n'admet habituellement, qu'un seul instrument monocorde l'imzad. «Le 'oud, au début, n'a pas été accepté par le public targui qui n'a pas hésité à casser l'instrument de mon père sur scène», nous a confié Samir. La société, selon lui, a, petit à petit, accepté cet instrument à partir des années 80 entre Tamanrasset et Ilizi, les deux plus anciennes villes du Sud. Othmani, l'artiste issu d'une grande famille de chanteurs et de poètes dont la mère, la poétesse Khadidja, est l'une des meilleures joueuses de tindi ainsi que son oncle maternel, le défunt grand poète Othmani Othmane. Bali était déjà connu dans les années 60 et particulièrement dans les années 70 à travers sa troupe. Il avait enregistré une seule cassette avec le studio Cadic en 1986, faute de moyens pour se déplacer à Alger avec toute une troupe d'une trentaine de chanteurs. La relève est assurée La musique targuie a commencé à sortir de l'anonymat, dans les années 80. «On confondait souvent mon père avec le musicien ‘'Alla'' de Béchar. Il y avait toujours cette confusion entre le Sud-Est et le Sud-Ouest», nous apprend Samir. En 1994, impressionné, Steve Shehan, le musicien franco-américain, l'avait encouragé en le faisant sortir des frontières algériennes pour se produire sous d'autres cieux à l'échelle mondiale. Ce qui lui avait permis de totaliser trois albums. Le dernier qui, selon son fils, n'est pas encore sorti, le sera bientôt au bonheur de ses fans. Les albums sont ‘'Asouf'' en 1994, ''Asarouf'' en 1997 et ‘'Asikal'' en 1999. Le père idéal et gentil était également un as de la danse targuie, ''Nahmate'', en l'occurrence. Il écrivait des textes en tamacheq. Bali chantait l'amour ‘'Tamzite'', la trahison d'un ami ‘'Dammaa'',la fête de l'indépendance ‘'Naymirte Ane Yallah''. Il chantait également le sport pour les équipes ‘'Idjmayegh Simi'', la nature rude ‘'Mena'', les problèmes de la société ‘'Ouagh Zmene'' et ‘'Neghli Djanet''. Aujourd'hui, ce sont ses enfants qui ont pris le relais. Houda qui est membre d'une troupe et Nabil. L'artiste tindi, El-Hadj Khadidja, aurait cessé de chanter depuis la disparition tragique de son fils Moubarek. Un grand artiste s'en est allé Un soir du 17 juin 2005, l'ambassadeur de la musique et de la chanson targuies, Othmani Bali qui rentrait d'une soirée avec ses amis, a été, suite à des pluies torrentielles, emporté à bord de son véhicule par les crues de l'oued. «Le destin a voulu que Bali, l'amoureux de l'eau, meure dans l'eau. Il a été retrouvé vers 13h, sans aucune égratignure avec sa ‘'abaya'' toute blanche», commente son fils Samir qui constate que son père avait enregistré trois albums, comme s'il avait eu un pressentiment. Bali appelait au pardon, à l'union et faisait ses adieux. «Il a été retrouvé près du jardin d'une tante, près de la maison de sa mère, en position assise, avec le doigt de la ‘'chahada'' , adossé à un palmier » a enchaîné son fils qui nous a fait part de son étonnement ,lors des funérailles de son père, enterré au cimetière Adjadj Akhmad ,au lieu dit ‘'Aghoum'' à Djanet. Tout le monde avait constaté un phénomène ce jour-là selon Philippon « Il y a eu subitement une forte tempête suivie de pluies torrentielles .Puis le temps s'est calmé juste à la fin de l'enterrement, comme si le ciel pleurait», nous a-t-il déclaré, ajoutant que, comme s'il sentait sa disparition prochaine, son père avait offert de grosses sommes d'argent aux démunis et passait ses derniers jours dans la mosquée ne cessant de demander pardon à tout le monde.Outre la chanson qui coulait dans ses veines, Bali, ce présumé 1953, à Oubana (Djanet), était technicien supérieur de la santé, spécialiste de la petite chirurgie et faisait son possible pour traiter du mieux qu'il put sa population, les autochtones de Ihrir, contre certaines maladies liées à l'eau de la grande guelta.