Octobre 1964. Louis Gerstein rejoint au pas de course la petite équipe de parachutistes amateurs qui l'attend sur le terrain, près de l'avion. A quarante-quatre ans, il est licencié dans cette discipline depuis bientôt vingt ans, et moniteur depuis huit. Joaillier à Besançon, c'est un homme plein de charme : grand et sportif, toujours bronzé sous des cheveux déjà argentés on ne compte plus ses succès féminins. Pour autant, Louis ne s'est jamais marié, ce qui lui permet sans doute de se montrer plus libre quand une aventure se présente avec une jeune femme et c'est peu dire que les jeunes femmes ne manquent pas dans son entourage. — Bonjour à tous ! Pour ce stage, le petit groupe de parachutistes est composé de cinq hommes et d'une seule femme. Louis la connaît depuis longtemps : c'est Maria, la dernière fille du vieux Charperet, l'ambassadeur; une jolie femme, toujours souriante, avec des yeux turquoise, mais qui arbore souvent des airs de garçon manqué que Louis trouve déplaisants. «De toute façon, se dit-il, elle n'a pas trente ans.» Comme si c'était un argument. — Aujourd'hui, pour ce troisième saut de la semaine, nous allons sauter à 1 500 mètres ; le passage n'est que de 25 secondes ; aussi je compte sur votre concentration, déclare Louis en serrant la main à chacun. Arrivé devant Maria, il hésite ; elle lui tend la joue de façon si ostensible qu'il lui fait la bise. Une fois vérifiés les harnais et leurs attaches, les six parachutistes se hissent dans l'étroite carlingue du Cesna. Le pilote met en marche et, quelques minutes plus tard, l'avion décolle et amorce sa spirale ascensionnelle. Pendant le vol, Maria ne détache pas les yeux de Louis, qui trouve cela horripilant. — C'est amusant de vous voir à ce stage, lui lance-t-il enfin, par pure politesse. Vous voulez sauter la première ? — Non, je préfère voir les autres devant moi. — Pour les dominer ? Avec un large sourire, Maria fait signe que oui. Louis détourne le regard. — Nous allons sauter ! crie-t-il soudain. Je vous rappelle qu'aujourd'hui nous comptons jusqu'à dix avant d'ouvrir le parachute. C'est bien entendu ? Tout le monde hoche la tête. — Parfait ! Et il ouvre la petite porte latérale. Le pilote se retourne et, levant le pouce, fait signe qu'on peut y aller. Le premier stagiaire s'assied sur le seuil, les pieds dans le vide. — On y va ? Le jeune homme saute suivi par un autre, puis un autre. Le rythme est bon, il n'y a pas de problème. C'est au tour de Maria. A peine assise, elle s'est jetée dans le vide, sans une seconde d'hésitation. «Elle a du cran, cette petite», pense Louis. Puis il saute à son tour, debout, avec la grâce d'un plongeur. Trois corolles sont déjà ouvertes, et la quatrième se déploie au moment même où Louis commence sa chute dans le vide. Le moniteur observe Maria, juste un peu plus bas. Son parachute ne s'ouvre pas... «Par saint Michel, qu'est-ce qu'elle attend ?», se demande Louis. Deux, trois, quatre secondes supplémentaires. On est encore à 1 000 mètres, et il n'y a pas d'urgence cependant Louis s'énerve : «Elle fait cela pour m'épater», pense-t-il avec lassitude. En huit années de stage, il en a tellement vu, de jeunes femmes qui essayaient de l'impressionner ! Ça y est, les voiles de Maria sortent enfin ! «Pas trop tôt», se dit Louis qui s'apprête à lâcher les siennes. Mais catastrophe : le parachute de la jeune femme se met en torche et refuse de se déployer normalement. (A suivre...)