Spectacle - Les représentations des performances chorégraphiques se poursuivent sur les planches du Palais de la culture Moufdi-Zakaria, et ce, dans le cadre de la 4e édition du Festival international de danse contemporaine. Pour la soirée d'hier, lundi, Anania, compagnie de danse contemporaine (Maroc) a gratifié le public d'un spectacle ayant pour titre Alif, une performance originale, voire exceptionnelle : un danseur (Taoufique Izeddiou), seul sur scène, dans la semi-obscurité. Et peu à peu, le jeu s'organise dans une scénographie dépouillée. Cette dernière est composée d'une barre où sont accrochés des projecteurs, elle est suspendue au milieu de la scène, bercée d'un côté comme de l'autre. Des baffles desquels s'échappent des bruits sonores, un brouhaha de voix, des bourdonnements agressifs, des éclats de sons compacts et des résonances diffuses, et ce, dans le but d'accentuer le jeu jusqu'à le rendre par instants dérangeant. Le mouvement est relevé par l'effet sonore, il est rendu fort, d'une intensité percutante, déroutante. Le protagoniste évolue dans un jeu physique, énergique, rendu perceptible par un langage musical approprié au contexte – le choix musical est judicieux parce qu'il illustre une révolte intérieure, l'hésitation, l'ambiguïté... Effectivement, la musique qui est parlante, ponctue chacun des pas du danseur, aiguille son corps qui entre dans une agitation brusque, incontrôlée. Debout sur une caisse – elle lui sert de socle, de piédestal, de tribune, il s'agit là d'une métaphore signifiant ces prêcheurs de la bonne parole, ces débiteurs de mots creux et de discours stériles – il se laisse transporter dans une espèce de transe. Puis il s'empare d'un microphone dans lequel il «crache» violemment sa voix. Il utilise l'effet vocalique pour donner plus d'énergie, plus de caractère. L'espace scénique est subdivisé en deux temps, et c'est la barre des projecteurs qui trace la frontière entre les deux «existences» physiques : il y a une partie de la scène qui est baignée par la lumière et l'autre partie, celle de l'avant, qui est, en revanche, plongée dans l'obscurité. Cela crée d'emblée un beau contraste visuel, un extraordinaire jeu d'ombre et de lumière. Plus tard, et à un moment de la performance, un joueur de gumbri (Adel Amimi) sort du public et se dirige vers la scène tout en grattant les cordes de son instrument – il y a là une référence à la tradition ancestrale. En effet, les sonorités ancestrales dégagées par cet instrument dont la fabrication témoigne d'un savoir-faire séculaire renvoie d'emblée à la culture gnawie, accompagne le mouvement, dirige le corps dans ses déplacements. Jeu musical et jeu corporel s'associent dans un parfait équilibre scénique. Il y a une réciprocité dans le jeu, un prolongement de l'un dans l'autre. La combinaison des mouvements est coordonnée, habilement structurée dans des phrasés chorégraphiques inspirés. Puis, en se travestissant en femme, le danseur passe de l'autre côté de la scène, il traverse la frontière, passe de l'ombre à la lumière. C'est alors que le jeu reprend autrement, dans une ambiance musicale jazzy, puis en changeant d'air et de tempo, il choit dans une ambiance turbulente, à la limite du psychédélisme. Le danseur entre dans un délire étonnant et, parfois, chaotique. Un délire que l'on peut assimiler jusqu'à l'aliénation. Et soudain, sans s'y attendre, la scène plonge dans le noir total : l'interprète s'empare d'un spot à la lumière rouge et le fait tourner, tournoyer, tel un gyrophare. Le danseur et chorégraphe, Taoufique Izeddiou, qui s'est illustré, l'instant d'une représentation, dans une performance artistique originale, dans un jeu intelligent, explore par la manière dont la scénographie est composée les tensions entre tradition et modernité. Le jeu d'ombre et de lumière traduit cet antagonisme auquel les sociétés maghrébines sont sujettes.