Vécu - «Tout ce qui se fait par amour est exécuté par excès, en bien ou en mal.» Cette histoire est vraie, tous les acteurs du drame, y compris les malheureux enfants du couple, sont aujourd'hui décédés. La nuit était tombée depuis plusieurs heures déjà et Mahmoud se sentait de plus en plus angoissé. Tapi derrière les épais buissons qui surplombaient sa maison de chaume, il attendait les doigts crispés à s'en faire mal sur son fusil de chasse. Malgré l'absence de lune en cette glaciale soirée d'automne, il pouvait distinguer nettement le portail de bois et la courette de ce qui a été, pendant dix années, sa maisonnée, son nid aux côtés de Yasmina et de leurs jeunes enfants, Salah et Noura, la petite dernière, si espiègle et si attachante. Pourquoi était-il là à se conduire comme un maraudeur aux aguets ? Yasmina avait toutes les qualités qu'on pouvait attendre d'une épouse et belle comme le jour, pour ne rien gâcher. Toute la famille s'accordait à dire qu'il avait bien de la chance qu'une fille de la ville, qui a fait des études, a accepté non seulement de se marier avec lui, mais de le suivre dans ce coin perdu ou même la terre ne donne rien, ni pour les hommes ni pour les bêtes. A ce moment précis, alors qu'il s'était laissé aller à l'imaginer riant à gorge déployée à la moindre plaisanterie, un bruit de vaisselle cassée le fit sursauter. Revenant brusquement de sa rêverie, il regarda du côté de la seule fenêtre de son logis. Son cœur battait très fort et le temps d'un éclair, il eut le réflexe de sortir de sa cachette et d'aller voir ce qui a bien pu se passer. Il se ressaisit aussitôt, se convainquant de n'en rien faire. Ce n'était pas l'objet de son obscure et inconfortable retraite. Il devait résister à ses pulsions s'il voulait en avoir le cœur net. Le simple souvenir de la phrase prononcée, hier, par son oncle maternel lui fit serrer les mâchoires et durcir son regard. «Yasmina, ta tendre épouse a une relation !», lui avait-il asséné. «Elle profite de tes absences pour rencontrer un homme de la tribu des Bechiah. Beaucoup de gens le savent et se moquent de nous, pour cela tu devras t'en séparer, si tu as du nif !...?» Horrifié par une telle révélation, il n'avait pu prononcer un mot. Une colère immense l'avait inondé le tétanisant. Sur le coup, il aurait pu étrangler ce vieux fou d'oncle qui osait dire pareilles monstruosités sur sa Yasmina. L'onde de choc passée, Mahmoud n'avait pu que serrer les poings et la mort dans l'âme, il avait baissé la tête et s'en était allé. Comme un venin qu'on lui aurait inoculé, le doute s'était insinué en lui, lui taraudant l'esprit et l'empêchant de penser à autre chose qu'à la trahison, dont il était victime. Il était comme ça, Mahmoud, incapable de conjuguer la vie autrement qu'avec la droiture, la générosité et le travail honnête. Ce sont justement ces qualités qui lui ont valu le respect de ses proches et de ses chefs dans l'usine de la ville voisine. Un poste stable et rémunérateur qui présentait néanmoins l'inconvénient de l'éloigner de son domicile, parfois pour quatre à cinq jours. Ces absences prolongées avaient-elles été la cause directe de sa déconvenue ? Le présumé amant de son épouse était-il déjà en relation avec elle avant leur mariage ? Des questions auxquelles il ne pouvait répondre n'ayant jamais remarqué quoi que ce soit d'anormal chez Yasmina. La jalousie s'était emparée de Mahmoud aussitôt que son parent lui avait dévoilé l'inqualifiable traîtrise qui a totalement bouleversé sa vie depuis maintenant trente-six heures. C'était elle qui lui avait suggéré de faire mine de repartir pour nécessité de service à son travail. Dans un état second il avait eu assez de cran pour demander le plus calmement du monde qu'on lui prépare ses effets de voyage ; il avait même embrassé ses enfants qui l'accompagnaient jusqu'au pas de la porte et fait un furtif au revoir à son épouse. (A suivre...)