Quand la brise du soir se mettait à souffler, elle emportait au loin la complainte des amants : «La vie dans le chagrin et la douleur nous a séparés !», chuchotait Jasmin, et le Prince, à son tour, lui murmurait : «La mort dans le chagrin et la douleur nous a rassemblés !». Un soir, alors que le prince noir se promenait dans le verger, il entendit cette complainte. Il fut tourmenté d?abord par un cuisant sentiment de revers : ensuite, il fut écorché par les serres du remords et il décida d?avoir le même sort que son frère. Il se glissa entre les deux tombes des jeunes gens et se donna la mort. Sur la tombe du prince Lasmar poussa un chardon qui, dès la tombée de la nuit, croissait rapidement en s?insinuant entre les deux amants. Il s?infiltrait sournoisement entre leurs feuilles de ses mille et un piquants : puis, s?épanouissait et arrivait ainsi à les séparer. Alors, toute la nuit la mélopée du prince, on l?entendait : ô, Jasmin, ô rosier, pourquoi ce chardon S?acharne-t-il encore à nous séparer ? Tendrement, jasmin lui répondit : Dieu, nous a réservé cette funeste destinée ! Les jours passèrent et les fleurs de la douleur se fanèrent : peu à peu, elles furent remplacées par d?énormes gousses qui contenaient de drôles de graines. Un matin, on vit entrer dans la jardin un homme portant un burnous blanc et un turban noir : ce n?était pas moins que l?étrange marchand du souk du matin. Il commença, d?abord, à grands coups de sabre par couper les multiples branches de l?arbre de la douleur : ensuite il étala avec soin une toile de lin et se mit à cueillir les grains de chagrin. Avant d?emporter sa nouvelle récolte, le marchand mit le feu au tronc de l?arbre de la douleur. On entendit les épines du chardon craquer en brûlant. le jasmin et le rosier avaient disparu mystérieusement. Une fumée opaque ne tarda pas à s?élever il s?en échappa bientôt deux magnifiques oiseaux : tous deux blancs comme lait ! Plus joyeux que des enfants, plus riches en rêves que des soupirants, plus comblés que des amants, plus heureux et libres que les astres filants, Jasmin et son prince charmant enfin, aile contre aile, s?envolèrent dans le ciel.